Des ONG proposent en Équateur moins de dettes pour une planète plus propre

Des ONG proposent de réduire la dette de l’Équateur en contrepartie d’un renforcement de la protection des fonds marins dans l’archipel des Galápagos. Une alternative originale qui fait son chemin dans plusieurs pays en développement.

Photo : Universel

Un jour peut-être, nous irons aux Galápagos. Nous y retournerons, pour certains, avec l’infini plaisir, avivé par la pandémie, de contempler une nature préservée, le limpide océan et ses fonds marins peuplés de lions de mer, de dauphins, de requins-marteaux, de tortues géantes… Dans l’intervalle, un dossier aura peut-être avancé, celui qui revendique d’étendre la zone marine protégée de cet archipel du Pacifique appartenant à l’Équateur. Cette proposition est sur la table du gouvernement équatorien depuis le mois de février 2021. Remise au président Lenín Moreno, elle attend désormais que son successeur, Guillermo Lasso, élu le 11 avril dernier, y prête attention.

Porté par un collectif considérable d’ONG, et notamment par Más Galápagos (1), qui fédère 156 organismes nationaux et internationaux, le projet préconise d’accroître la zone protégée autour de l’archipel en contrepartie de la reprise d’une partie de la dette souveraine de l’Équateur. Le procédé existe et a pour nom Debt for nature swap (échange de dette contre nature) : une organisation extérieure, un État ou une ONG annule ou reprend une partie de la dette d’un pays en développement en échange d’actions de protection de l’environnement de ce dernier. Le créancier qui achète la dette la convertit en obligations de protection de l’environnement qui engagent le pays impliqué.

L’Équateur lui-même a déjà expérimenté ce mode de fonctionnement en 1987 avec dix millions de dollars de dette investis dans des actions de protection de parcs nationaux. En Amérique latine, la Bolivie, et bien sûr le Costa Rica, champion de la politique environnementale, mais aussi le Guatemala, y ont également recouru. Tout récemment, l’Argentine et la Colombie l’ont évoqué lors du Sommet des dirigeants sur le climat, le 22 avril dernier aux États-Unis.

Un trésor fragilisé

L’archipel des Galápagos, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, est protégé depuis 1986 grâce à la création d’une réserve marine, laquelle a été doublée en 1998 pour atteindre la superficie actuelle de 133 000 km2 de zone protégée. La proposition des ONG ambitionne d’étendre cette zone à 380 000 voire 518 000 kilomètres carrés. Sur une carte élaborée par le journal équatorien El Comercio**, qui publie également une vidéo explicative, il est aisé de comprendre que cette extension créerait une ceinture protectrice beaucoup plus large et régulière qu’actuellement autour de l’archipel. Car selon le WWF, qui relaie le constat de nombre de scientifiques internationaux étudiant à la loupe l’évolution de ce trésor de biodiversité, l’archipel est malmené par le tourisme grandissant et son corollaire, la pollution, ainsi que par la pêche illégale. Plusieurs projets immobiliers d’envergure pour le tourisme avaient obtenu le feu vert du gouvernement en 2014, soulevant crainte et indignation. La zone marine protégée a permis de préserver la diversité des espèces poissonneuses et a ainsi favorisé la pêche industrielle aux limites de la réserve, mais cette pêche n’est pas toujours vertueuse et nombre de chalutiers, chinois notamment, sont montrés du doigt et parfois sanctionnés pour leur pratique illégale de pêche à la traîne, qui dégrade l’écosystème.

Modus operandi

Les ONG proposent donc une restructuration de la dette sous la forme d’un partenariat public-privé avec l’Ocean Finance Company (OFC), une entreprise américaine de développement de l’industrie maritime “durable“. Le schéma est dessiné par un expert en la matière, Robert Weary, qui oeuvre auprès de l’ONG américaine The Nature Conservancy pour mettre au point le projet et ses modalités. Dans les grandes lignes, la dette équatorienne serait reprise à hauteur de 880 millions de dollars nets. Une partie, soit 120 millions, serait immédiatement annulée. Le reste serait restructuré en prêt à taux fixe, évitant ainsi à l’Équateur de voir ses titres de dette se dévaloriser sur les marchés.

De surcroît, un fonds fiduciaire serait créé, doté de 280 millions de dollars et destiné à la protection des Galápagos. Il serait administré par le gouvernement équatorien, mais domicilié aux États-Unis. Selon les estimations, ce fonds pourrait produire quelque 20,6 millions par an d’intérêts, lesquels financeraient les actions de protection environnementale. Il permettrait également de soutenir financièrement l’activité des pêcheurs équatoriens, qui ne voient pas ce projet d’un bon oeil. De fait, selon l’économiste Fausto Ortiz, ancien ministre équatorien de l’Économie des Finances (2007-2008) interrogé par El Comercio*, un quart du total de la pêche équatorienne provient des actuelles limites maritimes de la zone protégée. Autant dire que le manque à gagner pour les pêcheurs serait important, mais les ONG assurent que la protection renforcée de ces eaux génèrera rapidement une plus grande population poissonneuse à ses nouvelles frontières.

Un cercle vertueux ?

Réduire, annuler, restructurer la dette des pays en développement, a fortiori alors que la pandémie a laminé les économies, est forcément une idée séduisante. D’autant plus que l’enjeu environnemental invite les bailleurs de fonds ou détenteurs de dettes à en considérer les bénéfices dans la lutte contre les changements climatiques, ne serait-ce que pour flatter leur image institutionnelle. En janvier 2021, la dette de l’Équateur s’élevait à 45 milliards de dollars.

Le combat contre les changements climatiques nous concerne tous, et c’était bien le discours tenu par l’ancien président équatorien Rafael Correa lorsqu’en 2007, il proposa à une tribune de l’ONU le deal Yasuni ITT, qui consistait à laisser dormir le pétrole amazonien du pays, situé dans un parc naturel d’une incroyable biodiversité, si les États membres daignaient mettre la main à la poche à hauteur de 3,5 milliards de dollars, soit la moitié de la valeur estimée du gisement. Le projet fit long feu : “Le monde est d’une grande hypocrisie“, épiloguait en 2013 le président Correa en donnant le feu vert à l’exploitation pétrolière dans le Yasuni.

Le procédé de l’échange de dette contre nature a ses détracteurs. Le monde de la finance verte est encore balbutiant et parfois peu fiable, estiment certains observateurs. Par ailleurs, souligne Fausto Ortiz dans El Comercio, l’Équateur devra trouver de l’argent pour alimenter le Fonds de conservation des Galápagos. Enfin, le pays joue gros car si les taux d’intérêt venaient à baisser, celui qu’il devra payer à ses créanciers qui rachètent la dette pourrait ne plus être intéressant.

Il n’empêche : la crise sanitaire et l’urgence climatique accélèrent la recherche de solutions alternatives pour éponger la dette des pays en développement, durement éprouvés tant par la pandémie que par les changements climatiques. Selon l’ONG The Nature Conservancy, de nombreux pays pourraient accéder à une forme ou une autre de restructuration de dette en échange de projets de protection de l’environnement. Et selon un document élaboré en 2020 par une centaine d’économistes et de scientifiques sous l’égide d’une ONG, Campaign for Nature, si nous protégions 30% au moins des océans et des terres de notre planète, nous pourrions voir augmenter les recettes mondiales de 250 milliards de dollars. Par an.

Sabine GRANDADAM

(1) Site Galapagos
(2) El Comercio
(3) Natural Capital Factory
* Pour savoir plus sur le fonctionnement du projet : Site