C’est à chaque fois avec le même plaisir qu’on retrouve les mots, les phrases, l’humour d’Eduardo Halfon. Il a réussi, au fil de ses courts romans, qui sont aussi des confidences, à apparaître comme un ami qu’on aime écouter, avec qui on aime partager.
Photo : Quai Voltaire
Partager, oui : entre lui et nous se construit un jeu, un jeu de questions avec ou sans réponses : quel rapport peut-il y a voir entre un chauffeur de taxi japonais et mutique et un guérillero guatémaltèque qui ressemble à un tout jeune adolescent et qui a donné son titre au roman ? On le saura peut-être et peut-être pas. Canción est une solide addition de tranches d’histoire du Guatemala (la tragique réalité des campagnes au milieu du XXe siècle), d’anecdotes familiales et d’humour (quand Halfon parle d’un « Clint Eastwood jeune et poussiéreux », est-ce seulement d’une photo punaisée sur la porte des toilettes pour hommes dans un bar de Guatemala Ciudad ?). C’est surtout un puzzle à plusieurs niveaux : les pièces (ces fragments d’histoires) non seulement s’ajustent entre elles à l’intérieur de Canción, mais elles s’ajustent aussi avec celles des autres romans d’Eduardo Halfon.
Je parlais de jeu et de partage, il ne faudrait pas laisser de côté la générosité de l’écrivain : ses cadeaux, ce sont justement ces pièces du puzzle, apparemment petites, qu’il a l’air de jeter au hasard : chaque lecteur en retiendra de préférence certaines pour en négliger d’autres qui lui reviendront plus tard. Cela peut être l’absurdité comique de certaines situations, l’émotion créée par la naïveté d’un enfant choqué par une réaction excessive de son grand-père ou le superbe hommage à une reine de beauté qui eut le tort de militer pour la liberté et la dignité et qui l’a payé très cher. Le puzzle a quand même un centre à partir duquel se déploient les branches du récit et ce centre est la séquestration, en 1967, du grand-père, Eduardo Halfon, industriel et commerçant aux origines entrecroisées. Retenu 35 jours par des guérilleros, relâché contre rançon, resté très discret sur cet épisode de sa vie, que reconstitue le petit-fils qui partage son nom et donc un certain héritage. Merci à Eduardo Halfon de nous faire partager à nous aussi !
Christian ROINAT
Canción, traduit de l’espagnol (Guatemala) par David Fauquemberg, éd. Quai Voltaire, Coll. Table ronde, 120 p., 15 €. Eduardo Halfon en espagnol : Canción sera publié en 2021 par les ed. del Asteroide, qui ont déjà à leur catalogue Duelo, El boxeador polaco, Signor Hoffman, Monasterio. La pirueta / Mañana nunca lo hablamos / Elocuencias de un tartamudo, ed. Pre-Textos, Valencia / El ángel literario, ed. Anagrama. Eduardo Halfon en français : La pirouette : Monastère : Signor Hoffman/ Le boxeur polonais / Deuils, éd. Quai Voltaire / Saturne, ed. MEET, Saint-Nazaire.