« Remords » de Luiz Ruffato aux éd. Métailié : portrait d’un Brésil neurasthénique

Après vingt ans dabsence, le narrateur de Remords, le nouveau roman de l’écrivain brésilien Luiz Ruffato, revient dans la ville où il a grandi. C’est un homme esseulé et endolori par la vie qui désire revoir les siens et ranimer les souvenirs, comme en un galop tardif vers la nostalgie. Mais à l’instar du voile permanent de chaleur qui s’abat sur le narrateur, les liens et le passé se sont délités, les mots échangés flottent à la surface et tout sentiment se dissout dans la banalité et une certaine indifférence.

Photo : Ed. Métailie

La vie s’étire manifestement sans joie et sans aménité dans cette ville de province dénuée de charme du Minas Gerais, au sud-est du Brésil. Beaucoup ont fui, cherchant à échapper à la pauvreté, à la moiteur des jours, à l’ennui. C’est ici le chacun pour soi qui compte, l’économie des moyens, le petit bout de la lorgnette de l’existence, sans doute pour ne surtout pas se retourner, comme l’espère pourtant le protagoniste, Peninho, qui cherche à comprendre : « Tout s’est mal passé… Et pourquoi ? À quel moment les choses ont commencé à dégénérer ? Sur quels chemins de traverse m’ont embarqué mes jambes (…) ? »

Un Brésil échoué

Au fil des jours, les retrouvailles avec la famille ou les connaissances du passé se dissolvent dans une léthargie qui gomme toute aspérité, si ce n’est celle d’une suffocante solitude des êtres, incapables de vraiment se rencontrer. La chronique d’une communauté écharpée se dessine avec ses destins tragiques ou ordinaires, ses jalousies, ses petits ou grands arrangements avec la légalité, trafics, compromissions, turpitudes…

C’est un Brésil atone que nous décrit Luiz Ruffato, lui-même originaire du Minas Gerais, cet État « des mines générales » qui fut l’Eldorado brésilien vers lequel émigrèrent des générations d’Italiens à la recherche de la bonne fortune, à partir des années 1870. Un Brésil où la richesse se concentre, comme d’habitude, entre quelques mains habiles tandis que la plupart nagent pour survivre.

L’aliénation des êtres découle de cette irrémédiable lutte contre l’adversité. Les uns dressent la barrière de leur confort contre les envieux, d’autres se recroquevillent et finissent par s’échouer sur les rives du quant à soi. Peu ont à offrir un vrai regard sur l’autre. Métaphore éloquente de ce repli, la ville est un brouillon inachevé où l’industrie minière n’a pas esquissé la prospérité : « Le pire, c’est que de cette richesse, presque rien ne reste ici (…) Juste de la boue et des collines trouées. » Le narrateur erre dans des rues désordonnées où, la nuit venue, il faut craindre le bandit, et croise dans des bistros des clients désœuvrés et comme encombrés d’eux-mêmes.

« Planètes errantes »

Usant d’un récit clinique qui consigne chaque détail des faits et gestes de son personnage, Luiz Ruffato invite son lecteur à s’imprégner totalement de l’étrangeté de ce retour aux sources. Mais est-ce le malaise d’un personnage égaré qu’il faut lire, ou celui, omniprésent, du corps social tout entier ? Dans une contribution au magazine littéraire brésilien Pernambuco*, l’auteur  confie : « Il y a deux manières de lire Remords : l’une, réaliste, y trouvera l’histoire d’un individu inadapté à son environnement (…) et l’autre, plus allégorique, évoque l’histoire du Brésil contemporain, dans lequel les classes sociales – les pauvres, les classes moyennes, les riches – ont rompu le dialogue (…) et deviennent des ‘planètes errantes’ dont les trajectoires se croisent de temps à autre et se détruisent. »

Avec ce nouveau roman, Luiz Ruffato jette un regard sans complaisance sur sa région d’origine, le Minas Gerais, revenant sur le thème de l’industrialisation au Brésil et de ses dégâts sur la classe ouvrière évoqué dès son premier roman, Tant et tant de chevaux (Métailié, 2012). Des dégâts qui ont fini par fermer les écoutilles des âmes elles-mêmes.

Sabine GRANDADAM

Remords, Luiz Ruffato, traduit par Hubert Tézenas, Éditions Métailié, 255 pages, 20,60 €, à paraître le 8 avril en librairie.

*http://www.suplementopernambuco.com.br/edi%C3%A7%C3%B5es-anteriores/67-bastidores/2267-luiz-ruffato-fala-dos-bastidores-de-o-ver%C3%A3o-tardio.html?fb_comment_id=1867918503314415_1885316851574580