Dans la nuit du 12 au 13 mars, l’ex-présidente par intérim, Jeanine Áñez, a été arrêtée à son domicile à Trinidad dans le département du Beni en Amazonie bolivienne. Cette arrestation fait suite aux accusations de sédition et de terrorisme dont elle a fait l’objet lors de son arrivée au pouvoir en novembre 2019. Cet événement avait été considéré comme un coup d’État par le Movimiento Al Socialismo (MAS), le parti de l’ex-président Evo Morales.
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L’arrestation de Jeanine Áñez ne fait que raviver des tensions qui avaient éclaté au moment des élections présidentielles du 20 octobre 2019. Lorsque la population avait été appelée à voter, Evo Morales avait déjà effectué trois mandats dont l’un antérieur à la création de la nouvelle Constitution marquant la naissance de l’État plurinational de Bolivie en 2009 : celle-ci prévoit qu’un président ne peut cumuler plus de deux mandats. Les membres du MAS réfutent alors l’impossibilité pour Evo de se représenter : ils justifient cela d’inconstitutionnel car opposé à la Convention américaine relative aux Droits de l’Homme (aussi appelée Pacte de San José), traité international qui surplombe la Constitution bolivienne. Suite à cela, le Tribunal constitutionnel plurinational lui accorde le droit de se présenter une quatrième fois, concession qui instaure un climat de tension parmi les opposants au MAS. Ceux-ci rappellent que le “non” l’avait emporté à 53,3 % lors du référendum du « 21F », ou du 21 février, qui demandait à la population si elle était favorable à la quatrième candidature à la présidence d’Evo Morales.
Les élections du 20 octobre 2019 commencent donc dans un pays tout aussi polarisé qu’aujourd’hui entre les pro-MAS et les anti-MAS. Le 25 octobre, le Tribunal suprême électoral de Bolivie annonce qu’Evo Morales arrive en tête avec 47,08 % des votes alors que son principal adversaire, Carlos Mesa, du parti Comunidad Ciudadana en obtient 36,51 %. Selon la Constitution bolivienne, ces résultats ne nécessitent pas de deuxième tour. Néanmoins, les soupçons de fraude et le refus d’un quatrième mandat aux mains du MAS plongent les opposants dans une quasi-guerre civile dans laquelle s’opposent ceux qui souhaitent garder l’ex-président au pouvoir et les partisans du second candidat en lice, Carlos Mesa.
Par la suite, le chef des Forces armées, William Kaliman, suggère à Evo Morales de renoncer à ses fonctions pour « permettre la pacification et le maintien de la stabilité » tant la situation est critique. Le 10 novembre 2019, celui-ci s’exécute pour « le bien de la Bolivie » même si, selon lui, son « seul péché est d’être dirigeant syndical et indigène ». Son vice-président, les président et vice-président du Sénat renoncent également à leurs fonctions.
En tant que seconde vice-présidente du Sénat, Jeanine Áñez, profitant d’un vide du pouvoir exécutif, se proclame présidente le 12 novembre en brandissant la Bible, geste perçu comme une attaque envers l’ère indigéniste impulsée par Evo Morales. Accusée de coup d’État, tout comme Evo l’a été suite aux suspicions de fraude électorale, elle déclare qu’il s’agit simplement d’une remise en place de la légalité constitutionnelle. Le 13 novembre 2019, le Tribunal constitutionnel plurinational publie un communiqué indiquant que la prise de pouvoir d’Áñez est un acte légitime et reconnu.
Au sein de la population, cette annonce divise. Après 14 années menées par un gouvernement socialiste ayant œuvré pour l’amélioration des droits des peuples originaires de Bolivie, certains se réjouissent du changement alors que d’autres craignent que leurs droits soient mis en danger. Ce fut notamment le cas lors des massacres de Senkata, Sacaba et Huayllani durant lesquels la vague de protestations face à la police et l’armée, alors dirigées par Áñez, ont gravement porté atteinte aux manifestants. Suite à ces évènements, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) publie les résultats d’une investigation répertoriant 36 morts, 804 blessés et plus de 1000 détenus, persécutés et torturés.
Le 23 octobre 2020, Luis Arce devient président de l’État plurinational de Bolivie en tant que représentant du MAS et allié d’Evo Morales. Bien que cette élection n’ait pas engendré de protestations aussi graves qu’une année auparavant, les deux camps s’accusent toujours mutuellement d’avoir perpétré un coup d’État. Dans ce désir d’obtention de justice, une plainte est déposée contre l’ex-présidente par intérim, actuellement détenue à La Paz. La population, divisée, exprime son soutien aux deux accusés lors de manifestations ainsi que sur les réseaux sociaux. Par le biais d’un tweet, Evo Morales demande que l’on « sanctionne les auteurs et complices de la dictature ». Dans une lettre écrite manuellement aujourd’hui même depuis la prison, Jeanine Áñez accuse, elle aussi, son dissident : « Que la Bolivie ne se rende jamais face à la dictature et la persécution politique (…). Il n’y a pas eu de coup d’État, il y a eu une fraude ! »
Victoria GALLION