« Colombiennes » donne la parole à vingt femmes engagées menant des révolutions politiques, artistiques, scientifiques, sociales et intimes dans une Colombie difficile et attachante. Leurs portraits, écrits et dessinés par Jade Vergnes et Hortense Jauffret, rendent au pays ses visages multiples, et à la femme colombienne la place qu’elle y occupe à l’évidence. Nous avons rencontré les auteures de cet ouvrage inspirant…
Photo : éd. du Jasmin
Pourquoi avoir choisi de partir en Colombie ?
Nous sommes parties étudier en Colombie de septembre 2018 à l’été 2019 pour notre troisième année de Licence en sciences sociales. Nous avons choisi ce pays car il nous intriguait : les élèves plus âgés nous en parlaient avec passion, conviction et une pointe de perturbation. La Colombie nous attirait irrémédiablement, nous, deux jeunes Françaises qui n’avions encore jamais mis les pieds en Amérique latine. En France, la Colombie convoque souvent des imaginaires caricaturés (violence, machisme, drogue, etc.). Mais plus nos parents s’inquiétaient de notre sécurité, plus nous avions envie de découvrir la réalité du pays.
Quelle a été votre première impression sur le pays et comment a-t-elle évolué ?
Difficile de se faire une mauvaise première impression de la Colombie, ce pays qui nous a accueillies avec la chaleur humaine la plus sincère qu’on n’ait jamais connue, avec un sourire aussi grand que le soleil et une invitation à danser la salsa, quoi qu’il arrive. Pourtant, la Colombie est un pays à l’histoire complexe et violente ; nous voulions saisir cette ambivalence, ce paradoxe même, d’une Colombie sanguinaire et pourtant si joyeuse. Nous passions notre temps libre à poser des questions aux Colombiens et aux Colombiennes pour affiner nos connaissances et tenter de comprendre.
Qu’est-ce qui vous a poussées à interroger toutes ces femmes, selon quels critères, et comment avez-vous réussi à les rencontrer ?
Rapidement, dans notre quotidien, nous avons constaté une omniprésence des femmes, alors même qu’elles étaient souvent peu nombreuses dans les sphères de pouvoir. Nous rencontrions beaucoup de Colombiennes absolument passionnantes qui œuvraient corps et âme à reconstruire la Colombie, à panser les blessures de la guerre et à lutter pour qu’on leur laisse la place qu’elles méritent dans la société. Tout s’est fait très naturellement : nous avons commencé à interviewer Diana, une femme qui nous inspirait, puis une autre, et encore une autre. Nous avons alors structuré nos envies en réalisant un reportage sur ces femmes engagées. Nous choisissions des femmes de tous âges, milieux sociaux, vie professionnelle, appartenance ethnique, réputation (certaines sont extrêmement célèbres et d’autres sont les matriarches de leur quartier), etc. Nous les contactions après avoir épluché des centaines d’articles, par le bouche-à-oreille et avec un peu de culot. Elles nous parlaient volontiers ! À la fin de l’année, nous avions 20 longues interviews : une mine d’or de témoignages, d’anecdotes et d’émotions. Nous avons décidé de leur laisser la parole en retranscrivant chaque témoignage à la première personne du singulier et de n’être que les relais de leurs récits pour un public étranger. Il est temps que l’on parle des femmes en Colombie, non plus pour parler de victimes ou pour sexualiser leurs corps, mais bien pour écouter ce qu’elles ont à dire.
En quoi ces rencontres d’excellence ont-elles façonné l’image que vous gardez de la Colombie ?
Nous le comprendrons plus tard, ce périple au cœur de la Colombie – et ses récits – se révèle être un voyage initiatique dans notre propre construction de femmes. Comme si elles répondaient à une jeunesse en quête d’inspiration, comme si ces récits étaient des conseils de femmes à femmes, des belles histoires dont nous avons besoin pour être fortes et solidaires. Alejandra, l’une d’entre elles, nous regarda avec tendresse en disant : « Quand j’avais vingt ans, j’étais comme vous. Curieuse de tout. Je voulais tout savoir : pourquoi, pourquoi, pourquoi… ». Sans aucun doute, ces rencontres auront donné un goût particulier à notre année en Colombie. Nous avons accédé à des lieux auxquels les étrangers n’accèdent jamais et nous avons posé des questions que l’on n’ose pas poser au détour d’une simple conversation. Nous demandions toujours, à la fin des entretiens : « quel est ton rêve pour la Colombie ? » Et toutes, sans exception, quelles que soient leurs opinions, nous ont répondu : la paix. En résumé, ce projet a donné de la substance à ce que signifiait vouloir la paix. Nous pensons que les perspectives individuelles sont une excellente porte d’entrée pour comprendre l’histoire d’un pays.
Comment avez-vous réussi à intéresser un éditeur ?
Nous avons envoyé notre manuscrit à plusieurs maisons d’édition dont la ligne éditoriale correspondait à notre travail : trois d’entre elles ont accepté ! Ce fut un très grand honneur de voir que ce livre retenait l’attention d’un éditeur. Nous avons choisi de travailler avec les Éditions du Jasmin, tout simplement parce que nous avons adoré notre rencontre avec Saad, notre éditeur. Il nous a fait confiance (malgré notre jeune âge) et nous a concertées dans toutes les décisions qui concernaient ce livre auquel nous tenons tant.
Propos recueillis par
Claire DURIEUX
Colombiennes. Rencontre avec 20 femmes engagées, Jade Vergnes et Hortense Jauffret, éditions du Jasmin, 184 pp.,16 €.