Le 28 février 2021, les Salvadoriens ont élu les 84 députés de l’Assemblée Législative, les 20 députés du Parlement Centraméricain et les membres des 262 Conseils Municipaux du pays. Dans ce pays du ‘’Triangle du Nord’’ qui souffre d’une violence extrême, les enjeux de cette élection ont ravivé les tensions politiques et la peur d’une dérive autoritariste.
Photo : El Nacional
Ces tensions entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ont débuté en 2020 lorsque Nayib Bukele appelle à l’insurrection face au manque de soutien des députés au sujet de l’approbation d’un prêt de 109 millions de dollars destiné à financer la troisième phase du Plan Control Territorial. L’objectif de celui-ci est de mieux équiper la Police Nationale Civile et les Forces Armées pour lutter contre les gangs armés. Il justifie cette pression exercée sur le pouvoir législatif par l’article 87 de la Constitution qui reconnaît « le droit du peuple à l’insurrection, uniquement dans le but de rétablir l’ordre constitutionnel altéré par la transgression des normes relatives à la forme de gouvernement ou du système politique, ou en cas de violations graves aux droits inscrits dans la Constitution. »
Nayib Bukele a pris ses fonctions en tant que président en juin 2019 sous l’étiquette du parti conservateur de la Grande Alliance pour l’Unité Nationale (GANA). Parmi l’opposition, durant la crise politique de 2020, figurent les deux partis historiquement majoritaires au Salvador : l’Alliance Républicaine Nationaliste (ARENA) et le Front Farabundo Martí de Libération Nationale (FMLN) issu des guérillas marxistes. Ces deux partis ainsi que la Cour Suprême de Justice s’opposent à la convocation d’une Assemblée extraordinaire pour l’exécution du Plan Control Territorial. Le 9 février 2020, Bukele entre de force dans l’Assemblée avec des militaires et s’installe dans le fauteuil du président, situé dans le Salon Bleu. Cet évènement a fait éclater des tensions politiques et ravivé la critique de la part de ses opposants.
Il est essentiel de revenir sur cette période afin de comprendre les enjeux des élections législatives dont le vote s’est déroulé au cours de la journée du dimanche 28 février. Une semaine plus tard, le Tribunal Suprême Électoral (TSE) indique que le scrutin n’est pas terminé. 7 698 actes de scrutin pour l’Assemblée Législative ont été comptés, contre 591 pour le Parlement Centraméricain (PARLACEN) et 191 pour les Conseils Municipaux. Cela représente 91,8 %, 30,66 % et 2,26 % du total à comptabiliser. Aucun résultat final n’a donc été communiqué et la population, tout comme les partis en lice, s’impatientent. Le TSE se déresponsabilise de ce retard en disant que les causes leur sont totalement étrangères, tandis que le parti Nuevas Ideas dénonce sur Twitter une « inconsistance » de leur part.
Pour l’instant, le parti de Nayib Bukele Nuevas Ideas remporte 67,2 % des votes suivi d’ARENA avec 16,6 %, puis de GANA qui en obtient 5,9 %. En réalité, la part de l’Assemblée obtenue par GANA favorise également le président puisque ce parti soutient publiquement Nuevas Ideas en se présentant comme allié. Cette victoire écrasante pourrait mettre en péril l’équilibre des trois pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire car une majorité à l’Assemblée permettrait au mandataire de prendre des décisions facilement grâce au vote de la majorité des députés.
Néanmoins, cette large victoire n’est pas surprenante puisque Bukele est fortement soutenu par la population salvadorienne. À travers son jeune âge, ses croyances religieuses, sa présence sur les réseaux sociaux et son opposition ferme à la corruption et à la criminalité, le vent de nouveauté qu’il inspire séduit une grande majorité des citoyens. Lors de son mandat de maire de la ville de San Salvador de 2015 à 2018, il était pourtant difficile de l’imaginer gagner l’élection présidentielle après avoir été évincé du FMLN. Il bénéficie du soutien du GANA qui lui permet de se présenter aux présidentielles sous l’étiquette du parti, Nuevas Ideas n’ayant pas été accepté à temps pour faire partie des listes. Aujourd’hui, l’image du parti du renouveau est le « N de Nayib » qui incarne un idéal de réduction de la violence et de la pauvreté mais qui inspire de nombreux doutes hors de ses frontières. Après un parcours atypique en politique, le risque d’une dérive autoritaire est souligné par divers médias et opposants politiques qui n’auront malheureusement qu’une voix minoritaire à l’Assemblée à l’issue des élections.
Victoria GALLION