Julien Ennac, la trentaine, pas laid, petit corps et grands, très grands pieds, est entré au Quai d’Orsay par la petite porte. Il en nourrit quelques complexes d’infériorité. Chance inespérée, à des milliers de kilomètres de Paris un tango mal dominé envoie en France le conseiller culturel de l’Ambassade de France en Uruguay et notre Julien est appelé en urgence à le remplacer et, accessoirement, à informer discrètement son supérieur parisien, celui qui lui a donné un petit coup de pouce, sur les dessous de l’ambassade de Montevideo.
Photo : éd. Temporis – America Nostra
Il sera donc le COCAC (le Conseiller de Coopération d’Action Culturelle, ce n’est pas rien), possible premier pas vers un avenir de puissance et de gloire. Et il va s’employer, aux côtés de sa femme Sophie, plus moqueuse que solidaire, à favoriser son ascension, forcément inéluctable à ses yeux.
Son problème, désormais, va être d’apprendre comment fonctionne une ambassade, alors que, sans qu’il s’en doute, tout ou presque est contre lui : il manque ostensiblement de charisme, il n’a pas la moindre expérience et, péché impardonnable, sa femme est plus jeune, plus grande et plus jolie que celle de Monsieur l’Ambassadeur. Il va devoir se repérer dans les rouages d’une institution très officielle avec ses traditions, ses rites, mais qui est aussi banalement humaine : qui reluque le pouvoir de qui, qui jalouse qui, qui fait bonne figure par devant pour mieux vous assassiner.
Si la bonne volonté de Julien est sans limites, ses capacités, elles, en ont, et beaucoup. Entre ses fanfaronnades et ses coups de déprime très réels parce que réalistes, il passe par des phases glorieuses (trop) et des effondrements prévisibles. Pour un regard extérieur, celui du lecteur, il est insupportable et parfois touchant, ce qui n’est pas incompatible. Son sentiment de supériorité a de plus en plus d’occasions de se fendiller, car visiblement, les autres, tous les autres ou presque, ne le partagent pas. Il faut dire qu’il se prend souvent les pieds dans les tapis pure laine des lieux officiels.
Toutefois, sous l’apparente légèreté de la surface, Jean-Christophe Potton nous fait découvrir de l’intérieur le fonctionnement d’une ambassade et, encore au-delà, les dessous des relations internationales. Nous assistons ainsi (de loin, le pauvre Julien n’a pas eu d’invitation officielle !) à l’avènement de José Mujica, l’extraordinaire Président, ex-guérillero resté fidèle à ses idées (en plus modérées, mais il avait refusé de toucher un salaire pour son rôle à la tête de l’État et rentrait chaque soir passer la nuit dans sa modeste propriété), au moment où le Venezuela de Hugo Chávez rêvait de convaincre ses pays frères de créer un vaste mouvement qui devait enfin établir la justice sociale sur le continent. Tout cela constitue l’arrière-plan des aventures du COCAC aux grands pieds. Et c’est là que la mission souterraine de Julien, sa mission secrète, devient problématique pour ce jeune homme qui doit se découvrir soudain, en même temps, des talents d’espion et de diplomate.
Jean-Christophe Potton, qui connaît bien le milieu, se révèle un excellent humoriste, avec ce qu’il faut de cruauté (envers son personnage) et de légèreté. Il sera désormais difficile de voir une partie de tennis sans repenser aux passes erratiques d’un jeune diplomate voulant briller ! Même Monsieur Hulot était plus habile !
En ce moment de déprime internationale, la politesse suprême peut fort bien consister à faire sourire ou rire, ce COCAC, ce Conseiller, arrive à point nommé pour réconforter les nations !
Christian ROINAT
America Nostra
Le Conseiller de Jean-Christophe Potton, éd. Temporis, 283 p., 16 €.