Amnesty International vient de publier un rapport dénonçant la violence d’État exercée contre les opposants politiques au Nicaragua. L’ONG pointe une aggravation de la situation depuis la révolte sociale survenue au printemps 2018. Elle mentionne également la perpétration de « crimes contre l’humanité » de la part du gouvernement de Daniel Ortega et de ses alliés politiques.
Photo : Amnesty Nicaragua
Dans un rapport publié le 15 février 2021, Amnesty International met l’accent sur la détérioration des droits humains au Nicaragua et condamne la répression politique organisée depuis le sommet de l’État (1). En introduction de ce rapport, l’ONG affirme que le gouvernement du président Daniel Ortega « n’a pas seulement renforcé son appareil répressif, il l’a également perfectionné, en mettant en œuvre toute une série de tactiques pour réduire au silence toute forme de critique ou de revendication sociale, par tous les moyens ».
L’aggravation de la politique répressive du régime remonte au mois d’avril 2018, à la suite des manifestations organisées par la société civile pour protester contre la réforme du système de sécurité sociale. Les autorités nicaraguayennes se chargent alors de réprimer la vague de protestations dans la violence, suscitant l’indignation unanime de la communauté internationale. Dans les mois qui suivent, la répression est menée de manière systématique à l’encontre des opposants au régime, avec l’appui des forces de l’ordre.
Les tactiques de la répression d’État, entre violences policières et complicité de la justice
La répression culmine en juillet 2018, lorsque Ortega décide de lancer ce que les Nicaraguayens appellent l’« Operación Limpieza » (Opération Nettoyage) contre les manifestants, en recourant à des « forces combinées » composées par la police, par des unités anti-émeutes et des groupes para-policiers. Dans une série de rapports, publiés entre décembre 2018 et avril 2020, le Centre Nicaraguayen des Droits Humains (CENIDH), le Groupe interdisciplinaire d’Experts Indépendants (GIEI) et la Cour Intéraméricaine des Droits de l’Homme (CIDH) dénoncent la mise en œuvre de tout un arsenal de méthodes autoritaires pour réprimer l’opposition : militarisation de l’espace public, assassinats ciblés, privations arbitraires de liberté, harcèlement systématique des activistes – jusque dans leur domicile – par la police, agressions contre des journalistes et leurs proches, refus d’assistance médicale aux manifestants blessés… La CENIDH mentionne également la perpétration probable d’au moins 40 exécutions extra-judiciaires, notamment à l’encontre de paysans identifiés comme opposants au régime.
Conjointement, les défenseurs des droits humains condamnent la connivence du gouvernement avec les autorités judiciaires qui sont utilisées comme bras armé de la répression. Les activistes dissidents sont indûment criminalisés – sur de faux motifs de trafic ou de détention de drogue ou de vol à main armée – et se voient refuser l’accès à des juges indépendants, à un avocat ou à l’information sur les raisons de leur incrimination.
Un arsenal législatif qui vient renforcer la répression
En parallèle, la négation des droits humains est aggravée par la mise en place de tout un arsenal législatif, qui sert de base aux autorités pour justifier les exactions commises sur les citoyens. En octobre 2020, l’Assemblée Nationale – contrôlée en majorité par les sandinistes du Front de Libération National (Frente Sandinista de Liberación Nacional), le parti d’Ortega – a approuvé la Ley de Regulación de Agentes extranjeros (Loi de régulation des agents étrangers), qui vise officiellement à combattre « l’ingérence » financière extérieure et à protéger « la sécurité souveraine de la nation », selon les termes de la loi. Cette loi contraint les personnes physiques et juridiques bénéficiant de financements extérieurs à se déclarer comme « agents étrangers » ; elle les oblige également à rendre des rapports détaillés sur leurs activités au gouvernement, sous peine d’amende et de sanctions pénales. Dans les faits, cette loi met directement en péril l’existence des associations à but non lucratif.
À cette loi s’ajoute la Ley Especial de Ciberdelitos (Loi spéciale sur les cyberdélits), tout aussi controversée, puisqu’elle crée un cadre légal pour condamner toute personne reconnue coupable de diffuser des fausses informations par l’intermédiaire d’Internet ou des réseaux sociaux. Pour l’opposition, cette loi est une arme supplémentaire dans l’arsenal législatif visant à restreindre les droits fondamentaux, et viole directement la liberté d’expression. Pour les ONG et l’opposition, il n’y a guère de doute que le tournant autoritaire du régime de Daniel Ortega permet d’étouffer tout projet politique contestataire, en vue des élections présidentielles de novembre 2021.
Sarah TLILI
1 Rapport d’Amnesty International, “Silencio a cualquier costo. Tácticas del estado para profundizar la represión en Nicaragua”, 15 février 2021, en ligne.