La création par Zacharias Spear du musée d’histoire naturelle de Washington, ainsi commence cette mini-épopée qui mêle allègrement histoire de l’évolution de la vie sur terre et muséographie au XIXe aux États-Unis. Notre guide à travers l’histoire des bâtiments d’exposition, celle des États-Unis d’il y a deux siècles et celle des mutations des êtres vivants, ne se prive pas de glisser anecdotes et indiscrétions, grande histoire et pures mesquineries, tout être humain n’étant que le roseau de Pascal, si fort et si minuscule.
Photo : Grasset – Babelia
Quand Zacharias Spears réfléchit à l’organisation des salles futures de son musée, cela donne lieu à une histoire générale de l’évolution des espèces vivantes, à la fois à peu près scientifique, quoique très raccourcie, et hilarante. On y rencontre des poissons pas encore prêts psychologiquement à aller se balader sur terre ou une « pègre animale » qui serait capable de s’attaquer à ses congénères migrants ! On découvrira ainsi, entre autres, comment l’œuf a révolutionné l’histoire de la sexualité.
Annabeth Murphy Atwood prend le relais. Elle est responsable de la section Peinture du complexe muséal, atterrée par les dégradations de « ses » œuvres qui pâtissent du manque de subventions. La rivalité entre Spears et Atwood se mue en guerre souterraine, puis ouverte, d’autant que les goûts du public portent aux nues ou plongent dans l’oubli ptérodactyles ou primitifs flamands, selon l’époque.
Les escroqueries ne font pas défaut, qui ont pour responsables petits malfrats locaux soucieux de s’enrichir en troquant quelques poteries qui peuvent passer pour des antiquités, ou archéologues diplômés, européens ou américains qui, eux cherchent à enrichir discrètement leur propre musée. L’ironie de la chose, c’est que ce tout nouveau continent officiellement dépourvu d’histoire, devient en quelques années le nœud d’un trafic d’« antiquités ».
Dans le roman, on glisse beaucoup, d’un personnage principal à un autre, d’un sujet à un autre aussi : des animaux préhistoriques, sujet des recherches de Spears vers les portraits en péril qui plaisent tant à Annabeth, puis vers les Indiens des États-Unis, eux aussi en péril, cette fois à cause d’autres humains. La douceur des glissements n’empêche pas un humour omniprésent, subtil : les ethnologues ‒ débutants pour la plupart ‒ qui prennent le train vers les tribus du Sud-Ouest, passent ainsi « de la redingote au pagne, de la neurasthénie des grandes villes à la sérénité de la vie tribale ». La question essentielle (et elle s’applique également au roman en général et à celui-ci en particulier) : étant homme, peut-on comprendre l’homme en ne sortant pas de son bureau ?
Sous des couches d’un humour féroce, capable d’aller du raffinement à la scatologie, ce qui intéresse l’auteur, ce sont toutes les questions posées par la pédagogie : comment montrer, faire vivre des connaissances abstraites, que privilégier, que laisser de côté devant l’abondance des découvertes, comment rendre attrayant ce qui pourrait (devrait) être rébarbatif ? Et c’est précisément ce que réussit plus que brillamment Diego Vecchio ici : enseigner en amusant : ces vrais problèmes, laissés aux mains de quelques pauvres humains, pourtant titulaires de prestigieux diplômes, quel régal pour le modeste lecteur ! Reste une autre passionnante question, dont le lecteur découvrira (s’il le veut) la réponse : à quelle espèce en extinction l’auteur fait-il allusion dans le titre ?
Christian ROINAT
America Nostra
L’extinction des espèces de Diego Vecchio, traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon, éd. Grasset, 224 p., 19 €. Diego Vecchio en espagnol : La extinción de las especies, (finalista del Premio Herralde de novela), ed. Anagrama.
Vidéo de présentation du roman, transmise par l’auteur : ici