À l’issue d’une rencontre avec le haut-commissaire pour les réfugiés des Nations unies, le président colombien Iván Duque annonce la régularisation massive de centaine de milliers de Vénézuéliens présents sur le territoire. Au total, 1,7 millions de personnes sont concernés par cette mesure, soit l’équivalent de plus de 3 % de la population colombienne totale.
Photo : Blu Legalizacion
Personne ne l’avait vu venir. Le lundi 8 février, le président colombien annonçait la régularisation des Vénézuéliens présents sur son territoire. Une décision étonnante pour un exécutif conservateur. Iván Duque, sans aucun doute le dirigeant latino-américain le plus virulent envers le gouvernement de Caracas, tend la main à la communauté venue du Venezuela, estimée en 2020 à 1,7 millions de personnes en Colombie. Une mesure considérée par le haut-commissaire Filippo Grandi comme un « geste humanitaire emblématique pour la région, le plus important depuis la Déclaration de Carthagène (1) en 1984 ».
Il faut dire que la situation politique de son voisin et l’exode massif de population qu’elle entraine ont des conséquences sans précédents en Colombie. Selon un rapport de l’OEA (Organisation des États américains), entre 2013 et 2021, sept millions de Vénézuéliens sont sortis de leur pays, formant ainsi la plus grande diaspora actuelle, devant la diaspora syrienne. Fuyant le manque de médicaments et de nourriture, le régime autoritaire de Nicolás Maduro et une hyperinflation annuelle de 3 000 %, un tiers de ces exilés trouvent refuge en Colombie qui partage 2 200 kilomètres de frontière avec le Venezuela.
L’intégration de ces nouvelles populations est un enjeu majeur pour le gouvernement de Duque et la pandémie du COVID-19 a joué une nouvelle fois un rôle d’accélérateur. En effet, sans la connaissance exacte des personnes présentes en territoire colombien, il est extrêmement difficile pour le gouvernement de mettre en practique des politiques publiques efficaces à grande échelle, la prochaine en date étant la campagne de vaccination, à partir du 20 février.
La création du statut temporaire de protection des migrants vénézuéliens entend pallier ce problème en régularisant les réfugiés pour une durée de 10 ans. Ce statut sera octroyé aussi bien aux Vénézuéliens en règle administrativement, à ceux sans papiers présents en Colombie actuellement et à ceux qui entreprennent un processus de migration légale dans les deux prochaines années. À l’issue des dix ans, les personnes concernées pourront faire la demande de résidence en Colombie.
Des Nombreuses craintes circulent au sein de la société colombienne
Mais nul n’est prophète en son pays. Alors que la communauté internationale applaudit l’action d’Iván Duque, de nombreuses craintes circulent au sein de la société colombienne. Certains craignent que ce système entraine une plus grande compétition sur le marché du travail et fasse office d’ « appel d’air » pour les Vénézuéliens désireux de traverser la frontière. Depuis le début de la pandémie de Covid-19, selon une étude de l’institut de sondage Invamer, la xénophobie envers les populations d’origine vénézuélienne a augmenté en Colombie, car perçues comme un vecteur de contagion. Pour l’opposition, cette annonce est une manière pour le président de reprendre contrôle sur l’agenda médiatique rythmé par la recrudescence de la violence dans différentes régions du pays, les nombreux assassinats de leaders sociaux et le retard pris au démarrage de la campagne de vaccination.
Pourtant, cette régularisation massive se veut pragmatique pour le gouvernement de Duque. Elle se justifie à la fois pour des raisons sanitaires comme nous l’avons vu mais également pour des motifs économiques. En effet, actuellement, les Vénézuéliens sans-papiers n’ont pas la possibilité d’ouvrir un compte bancaire, gonflant les rangs des travailleurs de l’économie souterraine. Cette mesure facilite donc l’intégration sur le marché du travail de ces migrants, pour la plupart en âge en travailler (58 % des Vénézuéliens en Colombie ont entre 18 et 39 ans). Selon une étude publiée par la Banque nationale colombienne fin 2020, l’intégration de ces populations à l’économie colombienne permettrait de faire gagner 0,33 point au PIB national en 2021. Une aubaine en temps de récession mondiale.
À l’approche des élections présidentielles de 2022, Iván Duque endosse à nouveau le costume présidentiel, encensé par les pays occidentaux, pourtant bien incapables d’appliquer des décisions semblables sur leurs territoires. À l’instar des accords de paix promus par son prédécesseur Juan Manuel Santos, Duque entend bâtir avec cette mesure courageuse un héritage qui transcendera son mandat, jusqu’alors marqué par la hausse de la violence, les manifestations massives et la pandémie. Par la même occasion, il se replace sur la scène internationale comme le principal opposant au régime de Nicolás Maduro.
En 1821, se formaient la république de Gran Colombia, un projet du libérateur Simón Bolívar et dont la Constitution unissait les territoires du Venezuela, de la Colombie, de l’Équateur et du Panamá. Alors que la région se prépare aux festivités de ce Bicentenaire, et malgré des relations diplomatiques interrompues entre les deux pays depuis 2019, la politique d’Iván Duque en matière migratoire réaffirme leur destin commun. Pendant les années 70, 80 et 90, des millions de Colombiens fuyant le conflit armé s’étaient réfugiés au Venezuela, nation alors prospère grâce à ces rentes pétrolières. L’heure est venue aujourd’hui en Colombie de renvoyer l’ascenseur.
Romain DROOG
(1) Déclaration qui, à l’époque, élargissait le statut de réfugié, un élément crucial visant à protéger les personnes fuyant les conflits en Amérique centrale.