Le mois de février marque normalement le début des carnavals en Amérique latine. Pourtant, petit à petit, les médias nationaux annoncent la suspension des festivités. Quelle place reste-t-il alors pour le folklore dans un monde posé sous cloche ? Loin de renoncer aux célébrations, les Latino-américains font preuve de créativité pour réinventer ces évènements.
Photo : Vocable
En temps normal, le carnaval de La Vega rythme le quotidien des Dominicains tous les dimanches de février. Cet évènement, qui attire presque un million de personnes chaque année, est l’une des manifestations les plus folkloriques du pays. La rue devient une scène et, sur le ton de la fête, la foule acclame les artistes aux masques et costumes extravagants. Contraints de ne pouvoir le célébrer normalement en 2021, les organisateurs ont toutefois tenu à marquer l’évènement. Un programme chargé sera ainsi diffusé sur les réseaux sociaux et les chaînes nationales, combinant reportages, entretiens et enregistrements.
Les festivités auront bel et bien lieu cette année. Elles seront encouragées par le Musée du Carnaval et la Maison de la Culture. À ces initiatives locales s’ajoutent les efforts de l’Atelier d’Artisanat de La Vega qui propose une exposition des costumes et des visites guidées pour cet évènement renommé « Expression populaire pour vide pandémique ». Pour l’écrivain et historien César Arturo Abreu, il s’agit de reconnaître le travail des organisateurs et organisatrices qui font tout leur possible pour que vivent les traditions. La crise sanitaire n’est pas un frein au folklore, bien au contraire, elle est le moyen de le réinventer. De plus, et la directrice de la Maison de la Culture Cinthya Acevedo le rappelle, la diffusion des évènements sur les réseaux sociaux est un facteur d’intégration, qui permet aux personnes les plus isolées de se réunir.
Au Panama, l’annulation du carnaval mais le maintien du défilé des “Mil Polleras”
« Garder en vie les traditions de la culture panaméenne et soutenir les patrimoines qui font de Panama une destination authentique » : tel est le mot d’ordre de l’Autorité de Tourisme du Panama (ATP). Le défilé des ‘’Mil Polleras’’, qui met en avant la robe traditionnelle du pays, est un évènement majeur du folklore panaméen. Chaque année, plus de vingt mille femmes soigneusement vêtues et coiffées défilent dans les rues de Las Tablas, une localité de l’ouest du pays.
En 2021, les autorités ont cherché à maintenir la tradition et à l’adapter au contexte sanitaire. Un hommage virtuel intitulé « Derrière les Mil Polleras » a ainsi été diffusé sur la chaîne nationale SERTV attirant des milliers de téléspectateurs. C’est aussi le moyen de rendre visible le travail des artisans. Le reportage revient en effet sur les techniques de fabrication en présentant les polleras (robes traditionnelles) et les tembleques (coiffes miroitantes), vendues plusieurs milliers de dollars sur les marchés. À quelques semaines de la réouverture des plages et des bars, l’autorité de Tourisme du Panama en a aussi profité pour rappeler les richesses naturelles (plages, observatoires de faune) et culturelles (places coloniales, musées) de la province.
En Colombie, on ne pouvait manquer l’évènement
Dans la ville de Barranquilla, sur la côte caribéenne, se déroule habituellement une manifestation culturelle ancestrale imaginée par les esclaves. Du 13 au 16 février, les défilés sont nombreux et la ville laisse place à diverses expressions artistiques et musicales. Cette année, comme dans les autres pays, il n’est pas question d’oublier le folklore. Le mot d’ordre est clair : « Covid-19 no acaba tradiciones » (La Covid-19 ne met pas fin aux traditions.)
Un hommage virtuel dont l’agenda a déjà été publié sur les réseaux sera donc dédié au carnaval de Barranquilla. Ce dimanche, les écoles de danse se sont aussi données en spectacle sur la Jetée du fleuve Magdalena, un espace public central de la vie barranquillienne. Carolina Visbal, organisatrice du carnaval, rappelle l’importance des différents corps de métier (cordonniers, couturiers, maquilleurs etc.) dans la préparation du carnaval et précise qu’ils sont «nombreux à avoir besoin d’aide ». Les Colombiens ne se voyaient pas manquer l’évènement.
Et le Brésil, dont le carnaval de Rio est emblématique ?
Tout le monde a entendu parler du Carnaval de Rio. Au Brésil, il est un symbole fort, surtout depuis l’investiture du président Jair Bolsonaro. L’an dernier, le carnaval a été l’occasion pour les Brésiliens d’affirmer leur mécontentement. Les costumes représentaient volontairement les minorités sexuelles de la communauté LGBTQ+ et les minorités ethniques d’Amazonie, toutes deux méprisées par le président. Bolsonaro juge les carnavals responsables de l’importation du virus dans son pays et s’est donc réjoui de l’annulation de ceux-ci cette année.
Au Brésil, il n’y aura donc ni hommage national ni transcription virtuelle des évènements. Toutefois, de nombreuses villes ont l’espoir d’un report. La ville de São Paulo a tenu à rappeler que le Carnaval 2021 n’était pas annulé mais conditionné par la lente immunisation de la population contre le virus. « L’idée c’est d’étendre les négociations à d’autres centres de carnaval comme les villes de Rio de Janeiro, Belo Horizonte et Recife, de sorte que le Carnaval 2021 puisse avoir lieu dans toutes les villes brésiliennes à la même date. »
Ce tour d’horizon nous permet de comprendre une chose : les Latino-américains ne sont pas prêts à renoncer à leur folklore, bien au contraire. Dans une époque marquée par un marasme ambiant, les manifestations culturelles sont l’occasion de rassembler les peuples et d’espérer des jours meilleurs.
Pablo GONZALEZ