Le Brésil est très durement frappé par la pandémie de coronavirus, et compte parmi les pays les plus endeuillés. Dans un rapport au vitriol, l’ONG Human Rights Watch détaille l’incompétence et l’arrogance du chef de l’État brésilien dans cette crise, qu’il continue à ne pas vouloir affronter avec une vraie volonté politique. Au point de faire l’objet d’une demande de destitution, qui n’a toutefois guère de chances d’aboutir.
Photo : DW
Fidèle à son habitude, Jair Bolsonaro n’a pas fait dans la dentelle, fin janvier, lorsqu’il a proféré des propos orduriers à l’intention des journalistes qui l’interrogeaient sur les 360 millions de dollars de nourriture dépensés par l’exécutif brésilien, en 2020. En pleine période de pandémie et de paupérisation des Brésiliens, ce budget dépasse de 20 % celui de l’année précédente ; il est d’ailleurs étonnamment pourvu en chewing-gums et en lait condensé, ce qui n’a pas manqué de susciter une multitude de mèmes sur les réseaux sociaux.
Le président brésilien n’a visiblement que faire des bonnes manières, à l’instar de l’ancien occupant de la Maison Blanche, Donald Trump, célèbre pour sa grossièreté, et que Jair Bolsonaro admirait sans réserves. Le chef de l’État brésilien peut même se frotter les mains, puisque les deux chambres du Congrès ont placé « ses » candidats à leur tête, le 1er février dernier. Elles le protègent ainsi d’une nouvelle demande de destitution lancée à son encontre, à la fin du mois de janvier. Depuis son élection, en novembre 2018, une soixantaine de demandes de destitution ont été introduites contre le président ; aucune n’a abouti, pour l’instant, faute d’un consensus au sein du Congrès. La dernière tentative en date, coordonnée par plusieurs partis d’opposition, invoque pourtant des faits tout à fait sérieux : l’absence de gestion de la pandémie par le président, que qualifie le motif d’irresponsabilité de la demande de destitution.
Avec l’aggravation de la situation sanitaire à Manaus, en Amazonie – où l’oxygène manque cruellement pour traiter les patients atteints de Covid, et où les hôpitaux sont en grande détresse face à l’afflux des malades – un nouveau chapitre de la négligence de l’exécutif brésilien face à la pandémie est en train de s’écrire. Prévenu dès les premières alertes, le ministre de la Santé, Eduardo Pazuello, n’a pas réagi, si ce n’est pour demander tardivement le transfert de patients vers d’autres États brésiliens.
Une mise en péril de la vie des Brésiliens
Cette désinvolture nourrit une chronique répétitive : celle de l’abandon du peuple brésilien par le pouvoir fédéral, depuis le début de la crise sanitaire. C’est un abandon couplé au déni permanent qu’oppose Bolsonaro à la gravité de la maladie et de ses conséquences. Il y a peu, le président fustigeait encore le gouverneur de l’État de São Paulo, qui avait entamé la distribution de vaccins. L’automne dernier, Bolsonaro promettait déjà de ne pas acheter de vaccins chinois. Le Brésil déplore pourtant plus de 225 000 morts du Covid-19, ce qui le situe en troisième position des pays les plus touchés, derrière les États-Unis et l’Inde.
Dans son rapport 2020 sur les droits humains*, l’ONG américaine Human Rights Watch (HRW) critique sévèrement le président brésilien sur sa gestion de la crise sanitaire. Elle l’accuse d’avoir fait prendre aux Brésiliens « des risques pour leur vie et leur santé » et d’avoir « tenté de saboter » les actions entamées par les autorités des États. Comme le rappelle le rapport, Bolsonaro a tenté d’annuler les décisions des autorités fédérales qui visaient à restreindre les mouvements et les activités afin de contenir la contagion. La Cour suprême a dû intervenir à plusieurs reprises pour empêcher ce sabotage. Dans une récente note, elle a rappelé le président à ses responsabilités dans la gestion de la crise. En avril 2020, alors qu’il était interpellé par des journalistes, Bolsonaro répondait : « Eh, que voulez-vous que je fasse ? Je m’appelle Messias (Messie) [son deuxième prénom, ndlr], mais je ne fais pas de miracles. »
Sabotage et déni
Au plus fort de la première vague, Bolsonaro a limogé ses ministres de la Santé, à deux reprises, alors qu’ils tentaient d’introduire des mesures ou appuyaient le discours des épidémiologistes. Ils critiquaient notamment l’hydroxychloroquine, vantée par Bolsonaro, qui la présentait comme le remède efficace contre le Covid, et suggérait de l’administrer systématiquement aux malades. Le président a finalement catapulté un personnage plus docile au rang de ministre de la Santé, le général Pazuello.
Alors que le Brésil comptait déjà 33 000 morts, début juin 2020, HRW note que le chef de l’État brésilien fustigeait les gouverneurs qui avaient imposé un confinement, et essayait d’occulter toute information publique sur ce qu’il appelait « une petite grippe », tout en diffusant lui-même de fausses informations sur le Covid. En parallèle, il multipliait les rencontres (sans masque) avec le public, pendant lesquelles il ironisait sur la pandémie.
Fin janvier 2021, alors qu’il était question de relancer les aides publiques accordées aux Brésiliens, entre mai et décembre 2020, afin de pondérer les effets dévastateurs de la crise sanitaire sur des millions de personnes privées de leur activité, Bolsonaro a publiquement estimé que ce dispositif allait « casser le Brésil » ; il a enjoint les Brésiliens à vivre avec la pandémie, « sans détruire les emplois », allant jusqu’à suggérer que le public revienne dans les stades de foot.
Toutes les décisions prises par le Congrès dans la lutte contre la pandémie ont été battues en brèche par Bolsonaro, qui n’est cependant pas parvenu à les bloquer complètement. Le chef de l’État a par exemple tenté de contrarier une loi imposant le port et la fourniture de masques dans les prisons et les institutions socio-éducatives. En juin 2020, il a également opposé son veto à une loi du Congrès imposant au gouvernement fédéral de prêter une assistance technique et d’urgence aux peuples amazoniens durement touchés par le Covid.
Car c’est là un autre aspect de la politique de Bolsonaro : son mépris pour les minorités amérindiennes d’Amazonie et pour les Afro-Brésiliens, qui se traduit en actes bien concrets, répertoriés dans le rapport de Human Rights Watch… Une histoire que Nouveaux Espaces Latinos se propose de retracer prochainement.
Sabine GRANDADAM
* Le rapport 2020 de l’ONG Human Rights Watch, publié en janvier 2021, est disponible à la lecture en ligne : World Report 2021: Brasil | Human Rights Watch (hrw.org)