Avec une quinzaine d’élections prévues sur le continent, l’année 2021 s’annonce chargée en élections du côté de l’Amérique latine. Avant la présidentielle péruvienne et les élections constituantes au Chili en avril, ou encore les législatives mexicaines en juillet, c’est dimanche prochain du côté de l’Équateur que commence cette tournée électorale.
Photo : El Pais
Le 7 février, 13 millions d’Équatoriens se rendront aux urnes pour choisir un successeur à Lenín Moreno et de nouveaux parlementaires nationaux et andins. La grande impopularité du président sortant, couplée à la crise économique et sanitaire qui ravage le pays, a laissé la population polarisée et il est probable qu’un second tour soit nécessaire pour élire son remplaçant. Car peu importe le vainqueur du scrutin, c’est bien la fin de l’ère Lenín Moreno qui se joue début février, aucun des candidats ne souhaitant poursuivre son projet politique.
Il faut dire que sa présidence aura été l’une des plus chaotiques de l’histoire récente du pays. Élu en 2017 avec 51% des voix dans la continuité du mandat de Rafael Correa dont il était vice-président, il entame un virage néolibéral quelques mois après son entrée en fonction. Moreno promeut alors le développement de l’industrie minière, des alliances avec le secteur privé et diverses mesures d’austérité pour pouvoir obtenir l’aide du Fond monétaire international. Ces réformes seront à l’origine de nombreuses tensions sociales qui culmineront lors de manifestations massives entre le 2 et le 13 octobre 2019. Fortement réprimées par le gouvernement et les forces armées, celles-ci s’étaient conclues par un triste bilan : entre 8 et 11 morts, 1 507 blessés et des centaines d’arrestations.
En 2020, le gouvernement a également été critiqué pour sa gestion de la pandémie de Covid-19. En mars dernier, les images de Guayaquil, la deuxième ville du pays, montrant des hôpitaux et des cimetières saturés au point de voir des cadavres dans les rues ont fait le tour du monde. Et si les chiffres restent élevés (246 000 cas confirmés pour 14 700 décès au 30 janvier), les victimes de la crise économique s’ajoutent à celles de l’épidémie. Plus de 2 millions d’Équatoriens seraient passés sous le seuil de pauvreté pendant la première vague et, en septembre dernier, 523 000 personnes se trouvaient toujours sans emploi formel. L’économie et la gestion de la crise sanitaire sont donc sans surprise les principales préoccupations de la population et les promesses des candidats sur le sujet ont afflué pendant la campagne.
Mais alors que les élections se profilent, les polémiques concernant l’organisation du scrutin se multiplient. Après un retard d’impression des bulletins pour le Parlement andin (organe législatif de la Communauté andine, zone d’intégration régionale), le scrutin devrait être reporté au 11 avril, date du deuxième tour des élections nationales. Certains candidats s’interrogent sur la validité de cette excuse et craignent que les autorités ne tentent d’annuler ou de suspendre le processus électoral. Des doutes sur le bon déroulement des élections qui s’ajoutent aux déclarations de Rafael Correa qui accuse le Conseil national électoral (CNE) de conspirer avec le gouvernement pour retirer à Andrés Arauz, le favori des sondages, ses droits politiques. Le candidat corréiste est également victime de rumeurs l’accusant d’avoir fait financer une partie de sa campagne par l’Armée de libération nationale colombienne (ELN) et d’acheter des votes. Les plus pessimistes comme le journaliste espagnol José Manzaneda vont jusqu’à comparer la situation actuelle à celle précédant la crise post-électorale bolivienne de 2019.
Au-delà des polémiques, ce qui rend difficile toute prédiction reste avant tout le grand nombre d’électeurs encore indécis, entre 30 et 60 % selon les enquêtes d’opinions. Mais si celles-ci sont désormais interdites jusqu’au 7 février, les favoris restent inchangés. On retrouve donc Andrés Arauz, suivis de près par le conservateur Guillermo Lasso et le militant Kichwa Yaku Pérez. Premier de la plupart des sondages, Andrés Araus (Alliance Unión por la esperanza), s’impose comme le successeur de Rafael Correa tout en affirmant son individualité, « Correa sera mon principal conseiller. Mais c’est moi qui serai président ». Cet économiste de formation, figure de la « révolution citoyenne » depuis 2007 a été directeur de la banque centrale avant d’officier comme ministre entre 2015 et 2017. Il défend un programme de rupture avec le mandat de Moreno et entend sortir le pays de la crise en proposant de créer plus d’allocations, une refonte du système de santé, une campagne de vaccination massive et gratuite, et en mettant fin aux privatisations.
Deuxième dans la course à la présidence et probable rival d’Arauz en cas de second tour, on retrouveGuillermo Lasso (alliance CREO PSC) un catholique conservateur membre de l’Opus Dei. Candidat à la présidentielle pour la troisième fois, l’actionnaire principal de la Banque de Guayaquil est surtout connu pour avoir été brièvement ministre de l’Économie en 1999 sous la présidence de Jamil Mahuad (1998-2000). En désaccord sur la gestion d’une crise économique dévastatrice qui poussera plus d’un million d’Équatoriens à l’exil et débouchera sur la dollarisation de l’économie du pays, il parviendra à multiplier sa fortune par 30 avant de démissionner. Fervent opposant au corréisme, il présente un programme économiquement libéral et socialement conservateur.
Le troisième candidat qui se démarque dans les sondages est l’activiste Yaku Pérez (parti Pachakutik) connu pour son engagement écologique et sa place centrale dans l’opposition pendant les manifestations d’octobre 2019. Avec son programme anti-extractiviste et centré sur des questions sociales, il est surtout populaire auprès des jeunes et dans le sud du pays dont il est originaire. Mais si le parti Pachakutik est issu du mouvement des peuples autochtones équatoriens, le plus puissant du continent à sa création dans les années 1990, de nombreuses dissensions y sont apparues au fil des années. Pérez y incarne une frange anti-corréiste à l’opposé de Jaime Vargas et de Leonidas Iza, respectivement présidents de la Confédération des Nationalités Indigènes de l’Équateur (CONAIE) et du Mouvement des Paysans Indigènes de Cotopaxi (MICC), tous deux proches d’Evo Morales et soutiens d’Andrés Arauz.
Pérez avait déjà appelé à voter pour Guillermo Lasso en 2017 et pourrait faire de même cette année en cas de second tour. La défaite d’Arauz marquerait en effet celle du corréisme pour la première fois depuis 2007. Mais les différences entre les partis de l’opposition demeurent et il n’est pas certain que l’antagonisme vis-à-vis de l’ancien président, condamné à huit ans de prison par contumace pour corruption, soit suffisant pour les réunir. À l’inverse, la victoire d’Arauz ramènerait la gauche au Palais du Carondelet dans une trajectoire qui rappelle celles de Luis Arce en Bolivie et d’Alberto Fernández en Argentine et pourrait être le signe d’un nouveau tournant politique pour le continent.
Elise PIA