Le juge Juan Guzman Tapia est décédé le 21 janvier à l’âge de 81 ans. La nouvelle a provoqué une grande émotion au Chili et dans le monde. Il fut le premier magistrat à engager au Chili des poursuites contre l’ancien dictateur Augusto Pinochet. Il avait ouvert une brèche dans l’impunité en levant l’immunité de celui qui était à l’époque sénateur à vie.
Photo : IPressdorm
D’une éducation catholique et conservatrice, le juge Juan Guzman Tapia qui avait soutenu le coup d’Etat contre le gouvernement de Salvador Allende a progressivement évolué en découvrant les crimes de la dictature chilienne. Par deux fois, il a mis en accusation le général Augusto Pinochet, mort sans avoir répondu de ses crimes. En 1998, Juan Guzmán Tapia (né au San Salvador, 1939) devient le juge responsable de l’affaire Pinochet. Il est nommé magistrat spécial auprès de la cour d’appel de Santiago afin d’instruire globalement les plaintes déposées contre l’ancien dictateur, notamment pour les assassinats commis par « la Caravane de la mort », caravane militaire qui a parcouru le pays en exécutant une centaine d’opposants après le coup d’État militaire. Guzmán devint alors une des figure clés dans la recherche de la vérité et l’accès à la justice pour des familles des victimes.
Le 16 octobre de cette même année, le dictateur avait été arrêté à Londres par le juge espagnol Baltasar Garzón, qui cherchait à le poursuivre pour l’assassinat de citoyens espagnols. Alors pour obtenir qu’Augusto Pinochet rentre au Chili, les autorités de l’époque s’étaient engagées à le faire juger par la justice chilienne. Quelques jours après son retour, Juan Guzmán interroge l’ancien dictateur et décide de l’inculper pour les assassinats commis par la Caravane de la mort.
Entre 1999 et 2004, Guzmán a dirigé des exhumations de restes de détenus disparus et il crée la figure juridique de la « séquestration permanente » pour les personnes toujours portées disparues. En retenant ce délit de séquestration permanente, le magistrat de la cour d’appel de Santiago, peut se lancer dans l’instruction d’autres plaintes.
En 2001, le juge Guzmán rejetait les raisons de santé invoquées par la défense et désignait Pinochet comme le cerveau de ces homicides. Les poursuites, hélas, sont restées sans effet, les avocats du dictateur ayant déposé un recours en protection pour raisons de santé. Au cours de sa carrière, le juge Guzmán a instruit au moins 200 plaintes contre Pinochet
Mais après avoir soumis l’ancien dictateur à des expertises médicales, la Cour suprême décide en 2002 que le général Pinochet, qui souffre de démence sénile, ne peut plus être poursuivi. Juan Guzmán réussit pourtant à l’inculper à nouveau en 2005 dans un autre dossier, celui de « l’opération Condor », un plan concerté des dictatures sud-américaines en vue d’éliminer leurs opposants. Mais le magistrat échoue à aller plus loin, la justice prononçant, en septembre 2005, la relaxe d’Augusto Pinochet pour raison médicale.
Après trente-cinq ans de carrière, Juan Guzmán prend sa retraite en 2005 et publie ses mémoires la même année. Puis il donne des cours de droit et intervient régulièrement dans des conférences sur la lutte contre l’impunité. Il participe dans des instances internationales pour des causes telles que les demandes territoriales des peuples palestiniens, au sein d’une ONG pour la paix composée par des militants d’Israël et de Palestine. Il appuie aussi dans son propre pays les demandes du peuple Mapuche. Après la mort d’Augusto Pinochet en décembre 2006, lors d’un entretien, il regrette le manque de volonté des plus hautes instances de son pays pour juger le dictateur.
À l’occasion de la présentation en Europe de son livre de mémoires, Nouveaux Espaces Latinos avait organisé sa venue à Lyon. Il y fut reçu par le maire Gérard Collomb et accueilli par un public nombreux, dans les salons de l’Hôtel de Ville.
Olga BARRY
Au bord du monde, les mémoires du juge de Pinochet par Juan Guzman Tapia aux éditions Les Arènes