Première élection de l’année en Amérique latine, l’Equateur votera en février prochain pour choisir le successeur de Lenín Moreno et de nouveaux députés. Dans un contexte de crise sanitaire et économique qui alimente le manque de confiance de la population dans les institutions politiques, l’élection équatorienne pourrait donner le ton dans la région.
Photo : Primicia
Ce sont environ 13,1 millions d’équatoriens qui devront se rendre aux urnes le 7 février prochain pour choisir entre 16 candidats à la présidentielle et élire 137 parlementaires et 5 députés andins. Une élection compliquée par la situation sanitaire et différents scandales qui ont émaillé les nominations des candidats. Le pays qui compte actuellement 200 000 cas de covid-19 a en effet dû mettre en place certaines mesures pour réguler la campagne qui a commencé le 31 décembre dernier et devra se faire avec des meetings réduits et en suivant strictement le protocole sanitaire.
Au-delà des problèmes logistiques, c’est bien le processus de nomination de certains candidats qui a posé problème. Álvaro Noboa, l’homme d’affaires surnommé “le roi de la banane” qui brigue pour la sixième fois l’élection présidentielle avait vu son parti disqualifié par le CNE (Conseil National Electoral), l’organisme chargé d’organiser les élections, car il ne disposait pas d’un nombre de signatures suffisant. Cette décision avait été contestée par le TCE (Tribunal du contentieux électoral) qui avait finalement décidé d’accorder au parti de Noboa le droit de se présenter. Devant le refus de quatre membres du CNE de respecter cette décision, Angel Torres, juge du TCE, a décidé dans un jugement rendu le 6 janvier de les révoquer, permettant potentiellement à Noboa de revenir dans la course à la présidence.
Le CNE a également déclaré impossible la candidature de Rafael Correa qui devait originellement être le colistier d’Andrés Arauz, un de ces anciens ministres. L’ex-président (2007-2017) réfugié en Belgique a été condamné en avril 2020 à 8 ans de prison par contumace pour “corruption aggravée” dans l’affaire dite des “Sobornos”. La constitution interdisant aux « personnes condamnées pour fraude, corruption ou enrichissement illégal d’être candidates à des élections », Correa qui continue à se déclarer innocent et victime de persécutions politiques de la part de son ex-vice-président, Lenín Moreno, est aujourd’hui interdit d’élections à vie.
Mais si 16 candidats sont inscrits dans la course à la présidentielle, tous n’ont pas les mêmes chances de l’emporter. D’après les plus récents sondages, quatre d’entre eux semblent sortir du lot. Andrés Arauz, candidat de l’alliance Unión por la esperanza, Álvaro Noboa pour Justicia Social, Guillermo Lasso de l’alliance CREO PSC et Yaku Pérez du parti Pachakutik.
Surnommé “le parfait inconnu”, l’ancien ministre de la Connaissance et du Talent Humain Andrés Arauz peut cependant compter sur le soutien du président bolivien Luis Arce, du deuxième vice-président espagnol Pablo Iglesias, de l’ex-présidente argentine Cristina Kirchner et de Rafael Correa. Dauphin de l’ancien président, cet économiste très critique des politiques du gouvernement Moreno est pour l’instant en tête de la majorité des sondages et pourrait remettre le “corréisme” au pouvoir dans le pays. Face à lui, on pourrait retrouver Álvaro Noboa, l’homme le plus riche d’équateur a annoncé le 7 janvier commencer sa campagne suite au jugement rendu par Angel Torres. Mais au moment de l’écriture de cet article, le flou demeure, le CNE n’ayant pas officiellement validé sa candidature. Personnage controversé et souvent critiqué pour les mauvaises conditions de travail que subissent les employés de ses entreprises et diverses affaires de fraude fiscale, il fait également l’objet d’accusations de harcèlement sexuel. Populiste de droite, il est plusieurs fois parvenu jusqu’au second tour des élections et se trouvait en tête des intentions de votes au moment de l’annonce de sa candidature cet automne. Autre figure de la droite, plus classique cette fois, le banquier Guillermo Lasso, fervent opposant au “socialisme du XXIème siècle” des années Correa, il se positionne également en tête de certains sondages en l’absence de Noboa.
Enfin, le dirigeant Kañari – Kichwa et militant écologiste Yaku Pérez se place généralement en troisième position des intentions de vote. Connu pour son combat contre la privatisation de l’eau et son poste comme président de la CAOI (Coordination Andine des Organisations Indigènes), il a également été l’une des figures de l’opposition au gouvernement de Lenín Moreno pendant les manifestations d’octobre 2019. Se réclamant de la gauche écologiste, il pourrait proposer une alternative au modèle “corréiste” dominant des dernières années. On peut également noter la présence parmi les candidats de Lucio Gutiérrez, ancien président (2003-2005) renversé par la “Rebelión de los Forajidos” (rébellion des hors-la-loi) et de Ximena Peña. La seule femme candidate se présentant sous les couleurs d’Alianza País, le parti de Lenín Moreno. Tous deux ne sont crédités que de 1-2% d’intentions de votes.
Du côté des élections législatives, les regards se tournent surtout vers Abdalá Bucaram. L’ancien président (1996-1997), candidat avec Fuerza Ecuador est poursuivi depuis août 2020 pour crime organisé suite à des ventes irrégulières de matériel médical durant la pandémie et fait également l’objet d’enquêtes pour trafic d’armes et de biens patrimoniaux. Une décision de justice du TCE a mis fin à son assignation à résidence et à son obligation de porter un bracelet électronique le 5 janvier dernier. Il pourrait, s’il est élu, se voir attribuer l’immunité parlementaire.
Si le résultat des élections est incertain, il pourrait marquer une rupture avec le mandat de Lenín Moreno. Celui qui avait été élu en 2017 comme candidat “corréiste” avant d’opérer un virage politique néo libéral quelques mois plus tard est devenu très impopulaire au cours de son mandat. Une étude de l’organisation Directorio Legislativo révélait en novembre 2020 que 90% des équatoriens avaient une mauvaise image de lui. Le mécontentement avait culminé lors de protestations massives en octobre 2019 avant de se poursuivre en 2020 avec la gestion de la pandémie. Décidé à ne pas se représenter, il a cependant déclaré espérer que « lors des prochaines élections, les propositions prévalent plutôt que les confrontations personnelles ». Mais la campagne ne fait que commencer et il faudra attendre un mois avant le premier tour des élections. D’ici là, la prochaine étape est le débat télévisé organisé par le CNE le 17 janvier qui devrait durer plusieurs heures et permettre aux candidats de présenter leurs positions sur des sujets phares comme la protection de l’environnement et la lutte contre la corruption et la pandémie.
Elise PIA