La stratégie machiavélique « diviser pour régner » a porté ses fruits pour la coalition au pouvoir au Venezuela. Boycottées par une grande partie de l’opposition, et boudées par 70 % de la population, les élections législatives du 6 décembre ont permis au président chaviste de reconquérir l’Assemblée nationale, la seule institution qui manquait à son régime.
Photo : Capital Financiero
L’appel au boycott du scrutin, lancé par l’opposant Juan Guaidó, à la tête d’une trentaine de partis politiques, s’est avéré gagnant pour le régime chaviste. Sur 20 millions d’inscrits, une abstention de 14 millions a gratifié le Grand Pôle Patriotique, qui soutenait le président Nicolás Maduro, de 253 sièges à l’Assemblée nationale sur un total de 277. Selon le Conseil national électoral (CNE), la coalition chaviste dirigée par le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) a obtenu 4.317.869 voix, soit 69,32 % des suffrages.
Le taux d’abstention – 69 % – marque un très net renversement de la situation par rapport aux législatives de 2015. Cette année-là, une participation de 71 % avait mis fin à quinze ans de pouvoir chaviste absolu au Parlement. Mais attention : une lecture rapide des chiffres concernant le taux d’abstention des législatives du 6 décembre dernier peut laisser croire que près de 70 % de la population a suivi l’appel au boycott, et donc soutient Juan Guaidó, ce qui n’est pas tout à fait le cas.
Élections les plus boudées depuis 1958, ce fort taux d’abstention peut être attribué, en partie, au risque de contagion au Covid-19, mais surtout à la lassitude généralisé de la population. Comme le rappelle Luis Vicente León, président de l’institut de sondage Datanalisis, la non participation de la grande majorité de Vénézuéliens est davantage le fait d’une « méfiance à l’égard des politiques que de l’appel lancé par l’opposition. » La raison de cette méfiance est compréhensible, après sept années de récession, trois d’hyperinflation (plus de 4000 % sur un an !) et 4,6 millions de Vénézuéliens qui ont quitté le pays depuis 2016 (rapport des Nations Unies pour les réfugiés, HCR), les électeurs semblent déboussolés et la possibilité du changement qu’incarnait Juan Guaidó à la tête de l’opposition s’est retrouvée sérieusement entamée.
Et pour cause, « après avoir suscité beaucoup d’espoir, début 2019, Juan Guaidó a perdu de sa superbe, faute de résultats notables pour la population. » Bien qu’il ait « réussi à s’imposer comme le leader de l’opposition et à être reconnu comme chef de l’État par intérim par une soixantaine de capitales internationales, dont Washington et Bruxelles, Brasilia et Bogotá -, il n’a pas changé le cours des choses », constate le journaliste Gilles Biasette ainsi que Pablo Medina, ancien parlementaire en exil à Miami : « en deux ans, Juan Guaidó n’a rien fait, malgré les millions de dollars d’aide reçus. » Selon une enquête de l’institut Datanalisis, près de deux tiers de Vénézuéliens rejettent Nicolás Maduro autant que l’autoproclamé président par intérim.
Or la différence fondamentale entre les deux rivaux, après ces législatives, c’est que Maduro a réussi son pari de diviser l’opposition pour mieux régner. Une opposition divisée entre ceux qui souhaitaient participer et ceux qui dénoncent une élection frauduleuse et se montrent favorables à une intervention militaire internationale. En réalité, cette victoire va permettre à Nicolás Maduro de « faire disparaître l’opposition traditionnelle » et de la « remplacer » par des partis minoritaires qui n’ont pas boycotté le scrutin et « ne s’opposeront pas à lui », selon l’analyste politique Rafael Alvarez.
Dans ce nébuleux panorama politique, Juan Guaidó risque désormais de tomber en pleine déliquescence, auprès du peuple vénézuelien mais aussi de la coalition qu’il représente. Depuis deux ans, bien qu’il ait eu des succès diplomatiques au niveau international, sa stratégie n’a pas eu les résultats escomptés. Or, à la suite des ces législatives qualifiées de « farce », le président de l’Assemblée sortante a organisé un référendum populaire entre le 7 et le 12 décembre.
En organisant ce référendum, Juan Guaidó fait notamment preuve d’habileté politique afin de surmonter un nouvel échec et d’améliorer ainsi ses perspectives. Habileté politique ou bouée de sauvetage ? Car, à la lumière du résultat de ces élections se dégage une évidence : parti pour conquérir le pouvoir il y a deux ans, en s’autoproclament président par intérim, il vient de perdre son tremplin institutionnel stratégique le plus important pour tenter de reconquérir la popularité dont il jouissait jadis : la présidence de l’Assemblée nationale. Ainsi, l’objectif sous-jacent de ce référendum symbolique est de savoir concrètement s’il peut compter encore avec le soutien massif de la population.
Les Vénézuéliens devaient dire s’ils « exigent que cesse l’usurpation de la présidence par Nicolás Maduro », s’ils sont favorables à « des élections présidentielle et législatives libres », et s’ils rejettent le scrutin du 6 décembre. L’Église a encouragé ouvertement les Vénézuéliens à soutenir l’initiative de Guaidó.Dans un communiqué publié le 30 novembre, la Conférence épiscopale du Venezuela a déclaré que « loin de contribuer à la résolution démocratique de la situation politique », l’élection du 6 décembre « tend à l’aggraver. »
Reste à savoir si cette stratégie sera gagnante ou non. Or si le soutien populaire se montre ouvertement favorable à la figure de Guaidó, peut-on s’attendre à une transition politique pacifique ? Rien ne permet d’éclairer cette question. On en est réduits aux hypothèses, car Maduro ne semble vraiment pas prêt à accepter d’abandonner le pouvoir, avec la majorité au Parlement, la Cour suprême acquise à sa cause et fort du soutien des Forces armées et, surtout, de ses alliés.
La Chine, Cuba, la Russie, l’Iran, la Turquie misent gros au Venezuela. À première vue, pour les réserves de pétrole – les plus grandes au monde, estimées à 303 milliards de barils. Mais établir dans la région une porte d’entrée à un marché continental, que les États-Unis s’arrogent le droit de dominer politique et économiquement depuis plus d’un siècle, semble être l’élément catalyseur de cette alliance improbable, où les enjeux géopolitiques intercontinentaux jouent un rôle capital.
Au risque de devenir le vassal de ces alliés, ces pays représentent pour le chavisme une soupape de sécurité pour soulager la pression du blocus imposé par Washington. Dans ce contexte délétère, on ne voit donc pas comment Maduro pourrait faire face au gros challenge qui l’attend, à savoir pacifier le pays, afin d’amorcer une véritable transition démocratique, et passer le relais à un successeur élu par une grande majorité de Vénézuéliens. Une vision prospective de la situation actuelle montre que cela relève, hélas, de la pure utopie.
Eduardo UGOLINI