Comme dans une course de relais, ces dernières semaines les présidents se sont succédé à une vitesse vertigineuse. Martín Vizcarra, qui menait une croisade anti-corruption avant sa destitution, vient d’accepter l’invitation du parti centriste « Somos Perú » (Nous sommes le Pérou) pour diriger la liste de ses candidats au Congrès.
Photo : Presses Pérou
La course à l’élection présidentielle péruvienne de l’année prochaine a débuté par une nouvelle crise politique et sociale, dans un contexte qui rappelle l’Argentine de 2001, bruits de casseroles inclus. Un rappel du soutien à la gestion de Martín Vizcarra est nécessaire pour comprendre l’annonce de sa candidature. À la suite de sa destitution, le 9 novembre, des manifestations ont éclaté dans plusieurs villes contre l’élection du président intérimaire Manuel Merino. Pendant une semaine, des milliers de personnes se sont rassemblées dans les rues de Lima contre la décision du Congrès, une institution fortement discréditée au sein de la population. Bilan de la répression policière : deux morts, plus d’une centaine de blessés et une quarantaine d’agressions contre des journalistes.
Plusieurs responsables politiques réagirent en faveur de l’ex-président M. Vizcarra, qui a dirigé le pays entre mars 2018 et le 9 novembre dernier. Par exemple, Julio Guzmán, chef du Partido Morado (Parti violet, centriste), a accusé les partis à l’origine de la procédure de destitution « d’avoir négocié des postes au sein du prochain gouvernement ». Pour la candidate de la gauche à la présidentielle, Verónika Mendoza, c’est une décision « honteuse et indigne », tandis que l’ex-Premier ministre Pedro Cateriano a dénoncé purement et simplement « un coup d’État ».
À leur tour, les présidents de la Bolivie, de l’Équateur et de la Colombie se sont opposés à la destitution de Vizcarra afin d’« éviter toute action qui pourrait mettre en danger l’exercice légitime du pouvoir et le processus institutionnel politique et démocratique ». La suite des événements a en quelque sorte donné raison à cette demande des pays andins qui forment avec le Pérou la Communauté andine des nations.
Or, malgré sa destitution, pour une affaire de corruption présumée sur laquelle le parquet enquête, Martín Vizcarra semble être le seul gagnant de ce marasme politique où trois présidents se sont succédé en une semaine. Une situation qui est en définitive la conséquence logique, comme l’explosion d’une pustule, d’une corruption purulente qui empêche le pays de se développer durablement.
En regardant de plus près l’évolution des événements de ces dernières semaines, s’en dégage donc une évidence : cette énième crise qui frappe le pays, après une longue série de dirigeants politiques et de présidents qui l’ont précédé – condamnés ou mis en examen pour corruption depuis 1990 – a sans doute mis M. Vizcarra sur les rails d’une voie démocratique en vue des élections législatives prévues dans cinq mois. Et l’ancien chef de l’État, qui briguera un siège de député, sait qu’il peut compter avec le soutient de près de 80 % de la population, en raison de son intransigeance à l’égard des députés et de sa lutte contre la corruption.
Réconforté par les sondages, il avait déclaré lors de son dernier discours à la Nation : « Malgré les conseils de nombreuses personnes, j’ai décidé de ne pas m’opposer légalement à cette décision du Congrès que je désapprouve et dont nous connaîtrons un jour les vraies motivations. » Or, il faut rappeler qu’il n’avait pas été élu mais désigné président, en 2018, suite à la démission de Pedro Pablo Kuczynski pour son lien crépusculaire avec le géant brésilien des BTP Odebrecht.
C’est la raison pour laquelle on pourrait se demander si, après la destitution votée par le Congrès, l’acceptation résignée de Vizcarra ne répond-t-elle pas à une stratégie visant à légitimer par les urnes son programme politique. Car deux semaines après son départ, le vendredi 27 novembre, l’ancien président, électron libre sans parti, a annoncé sa participation aux élections législatives d’avril 2021 en acceptant l’invitation de Patricia Li, présidente du parti centriste ‘Somos Perú’.
« Les immenses défis auxquels le Pérou est confronté aujourd’hui exigent que nous nous mettions à nouveau au service du peuple », a dit Vizcarra dans un message sur Twitter, et il a ajouté : « Je serai à la tête de la liste des candidats au Congrès pour ‘Somos Perú’, afin de poursuivre les réformes qui nous permettent de construire un pays juste et équitable. »
Cette perspective de retour à l’arène politique s’accorde étonnamment avec la désignation de l’actuel président en exercice, Francisco Sagasti. En fonction depuis le 17 novembre, après la démission de l’éphémère Manuel Merino, cet ingénieur et ex-professeur, élu député en mars 2020, est le cofondateur du parti centriste ‘Morado’, le seul qui n’a pas voté pour la destitution de Vizcarra.
D’après José Carlos Ugaz, ex-président de l’ONG Transparency International, c’est « le scénario idéal » pour surmonter la crise. Ainsi, l’élection de Francisco Sagasti, qui devrait rester à la tête du pays jusqu’au 28 juillet 2021, a été fêtée par des centaines de manifestants dans les rues de la capitale. « Je félicite Francisco Sagasti pour son élection […] Seule une personne ayant des principes démocratiques pourra affronter la situation difficile que traverse le pays », a communiqué M. Vizcarra sur Twitter.
Les prochaines élections générales sont prévues le 11 avril 2021. Si les enquêtes judiciaires restent indigentes concernant les preuves pour le condamner, le désormais candidat de ‘Somos Perú’ pourrait jouer encore un rôle de premier plan dans le panorama politique péruvien, et, si l’on tient compte des sondages, faire de son parti d’adoption la principale force politique du pays.
Eduardo UGOLINI