Au cours des cinq dernières années, le Pérou a déjà eu cinq mandataires, dont trois dans l’élan de cette dernière semaine. Après la destitution de Martín Vizcarra et la démission de Manuel Merino, le Congrès octroie la présidence par intérim au député Francisco Sagasti, au milieu d’un mécontentement populaire généralisé, bien évidemment accompagné d’une répression policière systématique, comme ce serait le cas partout dans la région.
Photo : El Universo
Le lundi 9 novembre, le Congrès péruvien a voté pour la destitution du président Martín Vizcarra, avec 105 votes sur 130. Normalement, la personne devant prendre en charge la présidence du pays dans un tel cas serait le vice-président, mais depuis mai de cette année, le poste n’est tenu par personne. Lors de la tentative du Congrès de destituer Vizcarra en septembre 2019, ce dernier a dissout le parlement mais la vice-présidente Mercedes Araóz assuma à tort les fonctions de l’exécutif et présenta sa lettre de démission le lendemain, laquelle sera acceptée en mai de cette année. Le poste de vice-président reste désormais vacant et dans ce cas, si le Président est relevé de ses fonctions, c’est le président du Congrès qui prend alors le relais.
Manuel Merino est élu président du Congrès le 16 mars 2020. Il passe ses deux décennies de vie politique en tant que législateur virtuellement inconnu. Mais lors de la destitution de Vizcarra lundi dernier, il doit assumer les fonctions de l’exécutif en tant que président du Congrès. Cependant, la décision du législatif de destituer le président Vizcarra est loin d’être populaire parmi la population. Selon un sondage de Ipsos pour le journal péruvien El Comercio, 78 % des sondés s’oppose à la destitution de Vizcarra. Après l’annonce que Merino assume la présidence, le mécontentement s’intensifie sur les réseaux sociaux, tout comme dans la rue. On commence à lire partout des messages de rejet envers le nouveau président par intérim. « Merino ne me représente pas », « Merino, démissionne maintenant ! » Le peuple manifeste dans la rue contre le « dictadorzuelo » dictateur de pacotille, comme le qualifie Vizcarra lui-même, qui à son tour répond aux manifestants avec des lacrymogènes, suivant ainsi la tradition de répression policière qui brille particulièrement dans la région depuis octobre de l’année dernière.
La journée du samedi 14 novembre fut la plus violente de toutes. Le soir on comptait deux morts et presque une centaine de blessés, dont quarante attaques contre des journalistes, selon l’Association Nationale de Journalistes (ANP). Les deux jeunes étudiants qui ont sacrifié leurs vies en exerçant pleinement leur droit de manifestation, se sont vu tirer dessus avec des armes létales. La famille et les avocats des victimes affirment qu’ils présentaient des blessures par grenaille de plomb ; un adjoint pour les Droits de l’homme du Défenseur du peuple confirme que ces munitions à caractère létal ont été utilisées. Par ailleurs, les enquêtes respectives ont déjà été ouvertes auprès de deux parquets pénaux à Lima.
À la suite de ces incidents, toute la faute retombe sur le nouveau président, qui occupe alors son poste depuis même pas une semaine. Le dimanche, le Congrès menace alors Merino d’entamer une motion de censure, lequel à son tour, lors de son premier et seul discours en tant que président, et ne montrant point d’autocritique, annonce sa démission irrévocable. Il affirme tout de même que les ministres qui ont essayé de démissionner resteront à leurs postes pour ne pas créer un vide au pouvoir.
Le Congrès doit donc élire une nouvelle personne à la présidence. Au début, la député Rocío Silva-Santisteban a proposé un comité d’administration, mais le dimanche soir, le parlement vote contre sa proposition. Le lendemain, le parlement, vote en faveur du comité proposé par Francisco Sagasti, avec 97 voix pour, pendant que le peuple reste vigilant et impatient à l’extérieur du Palais législatif. Cet ingénieur de 76 ans, membre du Partido Morado (Parti Mauve, jeune parti centriste), a pris ses fonctions ce mardi 17 novembre. Il emphatise que ce n’est pas un moment de célébration « puisqu’on a vu la mort de deux jeunes manifestants » et affirme qu’il fera de son mieux pour rendre la confiance au pays, alors qu’en ce moment il existe une méfiance généralisée envers les politiciens du pays. En effet, les scandales de corruption, notamment avec l’entreprise brésilienne Odebrecht, ont fragilisé la totalité de la classe politique péruvienne. Les accusations de recevoir des pots-de-vin sont tombées sans discernement sur les politiciens quel que soit leur bord politique.
La démocratie au Pérou est dangereusement fragilisée, et l’instabilité que vit le pays ne fait que la fragiliser davantage. Alberto Vergara, politologue péruvien, annonce dans son article La démocratie péruvienne agonise, publié dans le New York Times, « Les démocraties souvent succombent devant des tyrans formidables, tandis que la péruvienne meurt d’insignifiance. » Aujourd’hui les politiciens ne sont plus engagés, militants, et ceci se voit dans la manière dont le Pérou est politiquement à la dérive dans un océan d’incertitudes avec des personnages « tièdes ». Il semble que le seul élan que les politiciens ont ces jours c’est l’argent du jeu électoral et dégager les obstacles sur le chemin des grands industriels ; en bref, le néolibéralisme. Il faudra rester les yeux ouverts et dirigés vers le pays andin pour savoir de quelle manière le nouveau président Sagasti va gérer l’hécatombe dont il hérite, et voir qui ira occuper la place au Palais du gouvernement en juillet.
Nicolás BONILLA CLAVIJO