Avec plus de deux-cents morts et disparus selon les dernières estimations, l’ouragan “Eta’’ a dévasté l’Amérique centrale pendant deux semaines avant de se dissiper dans l’Atlantique ce week-end. Les destructions causées dans cette région sont d’autant plus préoccupantes qu’elles touchent en majorité des populations précaires déjà sujettes à de fort taux de pauvreté et grandement fragilisées par la pandémie de Coronavirus.
Ce sont les glissements de terrains et les inondations qui ont causé les plus gros dégâts, aussi bien matériels qu’humains. Quarante-six personnes sont ainsi déclarées mortes et quatre-vingt-dix neufs disparues au Guatemala, qui compte un des plus lourds bilans de la région. Le village de Queja, dans le nord du pays, a été presque entièrement enseveli sous les coulées de boue tandis que d’autres villes se trouvent aujourd’hui complètement isolées. Au total, ce serait 700 000 Guatémaltèques qui seraient affectés par les retombées d’“Eta’’, principalement dans les départements déjà exposés à de fort taux de malnutrition infantile et très touchés par la pandémie de Covid-19. La crainte de voir les cas augmenter à cause de la proximité des sinistrés regroupés dans les abris, couplé aux graves dégâts matériels causés par l’ouragan, a d’ailleurs poussé le gouvernement à lancer un appel à l’aide d’urgence à la communauté internationale.
Photo : El Universal
Si les ouragans et les tempêtes tropicales sont monnaie courante entre juin et novembre dans les Caraïbes et le Golfe du Mexique, le passage d’“Eta’’ dans la région s’inscrit déjà comme une catastrophe naturelle majeure qui aura affecté, d’après la Croix Rouge, plus de 2,5 millions de personnes. Formé à l’est des Antilles fin octobre, “Eta’’ devient une dépression tropicale le 31, puis une tempête tropicale le 1er novembre et enfin un ouragan de catégorie 4 (sur 5) avec des pointes de vent atteignant les 240 km/h au large du Nicaragua le jour suivant. Il a ainsi traversé l’Amérique centrale par la terre en passant par le Honduras, le Guatemala et le Belize, provoquant au passage de graves inondations jusque dans les pays limitrophes. La force des vents baissant, c’est sous le statut de tempête tropicale qu’il poursuit sa route par les îles Caïmans et Cuba, redevenant brièvement un ouragan avant de remonter le Golfe du Mexique vers la Floride puis la Caroline du Nord.
Le bilan est similaire au Honduras où les pluies torrentielles ont fait déborder les fleuves Ulúa et Chamelecón, submergeant San Pedro Sula, la deuxième ville du pays, et causant la mort de soixante-quatorze personnes. Selon la Croix Rouge, c’est près de 20 % de la population (1,7 million de personnes), qui aurait tout perdu et se trouverait sans accès à la nourriture et à l’eau potable. La destruction des terres cultivables risque également de poser de graves problèmes à une population déjà en proie à de grands niveaux de pauvreté et fortement touchée par la pandémie (103 000 cas pour 2 823 décès). Bien que le Honduras soit le troisième pays au monde le plus vulnérable au changement climatique et ait déjà connu ce type de tragédies, comme lors du passage de l’ouragan “Mitch’’ en 1998, les habitants regrettent que le gouvernement « soit profondément déconnecté du reste de la population », le président ayant invité les Honduriens à célébrer la “semana morazánica”, une semaine de vacances visant à promouvoir le tourisme interne au pays, malgré l’arrivée de l’ouragan.
Les fortes pluies ont également affecté certains pays voisins comme le Costa Rica, le Panamá et le Salvador, qui ont tous trois dû organiser des évacuations de grande ampleur. Au Nicaragua, la crue du fleuve Wawa a également isolé la ville portuaire de Bilwi, rendant l’arrivée des secours compliquée et provoquant de considérables dégâts dans cette ville où la majorité des maisons sont construites avec du bois et du plastique. Au Mexique, c’est la région du Chiapas, une des plus pauvres du pays, qui a été particulièrement touchée, l’ouragan ayant détruit plus de 2 000 maisons et emporté une vingtaine de personnes. En affectant 43 % de la région, “Eta’’ devient ainsi plus mortel que le tremblement de terre de 2017 qui avait fortement touché la région. Les vents violents et les pluies ont également causé des dégâts matériels dans les Antilles et de fortes inondations au États-Unis avec plus de 250 mm de pluie dans certaines régions de Caroline du Nord.
Devant l’urgence de la situation dans ces différents pays et les appels à l’aide des populations locales, la Fondation Internationale de la Croix Rouge a lancé une opération dans la région pour assister les gouvernements locaux tandis que le Programme alimentaire mondial de l’ONU s’organise pour aider un demi-million de personnes. Les projets de levées de fonds individuels se multiplient également en ligne, comme la compilation Songs for Honduras d’Amor Digital, un collectif de musiciens centre américains basé à San Francisco, et les diverses collectes organisées par des associations locales. Au-delà des dégâts matériels, la Croix Rouge interpelle également sur l’augmentation du syndrome de stress post-traumatique dans la région, semblable à celle enregistrée après le passage de l’ouragan “Mitch’’, un des plus meurtriers jamais enregistré dans la zone.
Si “Eta’’ semble finalement s’être dissipé le 14 novembre, tout laisse à penser que le réchauffement climatique ne fait qu’accroître la puissance de ce type de catastrophes naturelles. En cumulant déjà 30 phénomènes tropicaux, la saison cyclonique de 2020 dépasse officiellement le record de 2005, année de l’ouragan “Katrina’’. Comme l’a confirmé le GIEC à plusieurs reprises, cette tendance risque de se poursuivre à l’avenir avec des vents et des pluies toujours plus puissants et qui, comme ce le fut le cas avec “Eta’’, toucheront le plus durement les populations les plus vulnérables.
Car à peine remise du passage d’“Eta’’, la région se trouve déjà confrontée à un nouvel ouragan nommé “Iota’’ qui devrait connaître une trajectoire similaire. Ayant déjà causé de graves inondations en Colombie, notamment dans la région de Carthagène des Indes, il a touché en début de semaine les côtes du Nicaragua. Malgré les mesures d’évacuations préventives, l’agence nicaraguayenne de gestion des catastrophes estime que “quelque 80 000 familles seront en danger’’. 30ème tempête nommée de la saison, “Iota’’ est devenu le premier ouragan de 2020 à atteindre la catégorie 5 et avec elle des “pluies torrentielles” (jusqu’à des cumuls de 76cm de précipitations par endroit), de “vents extrêmement violents” (jusqu’à 260km/h atteint ce mardi) et de “submersions côtières dangereuses” ce qui laisse craindre le pire pour les habitants de la région.
Élise PIA