Le 18 octobre dernier, les boliviens élisaient Luis Arce, candidat du MAS (Mouvement vers le Socialisme), lors d’un scrutin pacifique contrastant avec une campagne compliquée par la situation politique et sanitaire. Loin de l’élection de 2019 qui avait entraîné une crise politique, l’exil d’Evo Morales et le mandat transitoire de Jeanine Áñez, candidate de la droite conservatrice, portrait de celui qui a su ramener la gauche au pouvoir avec 55 % des voix.
Photo : El Nacional Bolivia
Né en 1963 dans une famille de classe moyenne à La Paz, Luis Alberto Arce Catacora fait des études d’économie en Bolivie et en Angleterre avant d’occuper pendant 18 ans un poste à la banque centrale. Un profil bien différent de celui d’Evo Morales, syndicaliste paysan d’origine indigène, qui ne l’empêchera pas d’être ministre de l’Économie dès l’arrivée de celui-ci au pouvoir en 2006, ne faisant une pause qu’entre juin 2017 et janvier 2019 pour soigner un cancer. Surnommé “l’architecte du miracle bolivien” Luis Arce a pu mettre en avant les impressionnants résultats obtenus en temps que ministre pour s’imposer dans cette élection comme le candidat de la stabilité et de la croissance économique. En effet, entre 2006 et 2014, le PIB est multiplié par quatre, la pauvreté réduite de moitié et de grandes entreprises sont nationalisées, notamment dans le secteur des hydrocarbures, ce qui triple les revenus de l’État. Cet argent aura permis de financer de nombreux programmes sociaux mais aussi d’industrialiser considérablement l’exploitation de minerais, de gaz et de pétrole, ce qui sera vivement reproché à l’ancien président.
Bien que ses détracteurs l’accusent de ne devoir ses résultats économiques qu’à la hausse du marché des matières premières et d’être “la marionnette du dictateur Evo Morales”, Arce a tout fait pour se différencier de l’ancien président avant l’élection. Ses opposants, Carlos Mesa et Luis Fernando Camacho, ont eux presque uniquement basé leurs campagnes sur la diabolisation du MAS qu’ils considèrent comme une “force narcoterroriste” et gaspilleuse de fond publics. Une image qui contraste fortement avec le souvenir qu’ont les Boliviens du parti d’Evo Morales. Considéré, non pas comme un “militant traditionnel communiste” mais plutôt comme un technocrate trop néolibéral pour certains cadres du MAS, Luis Arce a surtout prôné un retour au calme après la crise de 2019 et le mandat mouvementé de Jeanine Áñez. « Maintenant, notre grand défi est de reconstruire notre patrie en paix, de retrouver la joie, la stabilité et l’espoir d’un avenir meilleur pour tous les Boliviens » a-t il déclaré sur les réseaux sociaux après sa victoire.
Il faut dire que l’ex présidente quitte son poste en laissant derrière elle un sombre bilan. Arrivée au pouvoir de façon controversée, elle a enchaîné les scandales de corruption, les tentatives d’intimidations des partisans du MAS, les déclarations racistes et une gestion catastrophique de la pandémie. Côté économie, Luis Arce a affirmé au journal mexicain La Jornada « qu’il faudra jusqu’à deux ans et demi à son nouveau gouvernement pour se remettre du désastre financier laissé par le régime de facto ». En effet, tous les indicateurs sont dans le rouge avec un taux de chômage passé “de 4 à 30 %”, une dette intérieur qui “aurait quadruplé” et un PIB négatif.
Mais si Jeanine Áñez s’est déclarée « heureuse d’avoir vu la démocratie progresser en Bolivie » sous sa présidence, le parlement sortant à majorité MAS a adopté le jeudi 29 octobre une motion visant à l’ouverture d’une procédure judiciaire contre elle et onze de ses ministres. Ceux qui, dès l’arrivée d’Áñez au pouvoir, avaient accordé aux forces de sécurité une « grâce totale » pour les crimes commis pendant la période qui a suivi le coup d’État, devront répondre des interventions militaires qui ont causé la mort de 35 manifestants lors de mouvement sociaux à Ovejuyo, Montero, Senkata, Sacaba, Betanzos et Yapacani.
Concernant Evo Morales, la révocation des mandats d’arrêt qui pesaient contre lui a permis son retour en Bolivie ce lundi 9 novembre. Après un an d’exil, il a déclaré vouloir désormais se consacrer à la pisciculture dans la province de Chapare et compte « partager [son] expérience de dirigeant de la lutte syndicale et de gestion de l’État en tant que président. » Il ne fera en effet pas partie du nouveau gouvernement d’union nationale qui devrait être formé pour faire face à la crise sanitaire et économique qui paralyse toujours le pays. Luis Arce compte pour cela mettre en place des réformes ambitieuses comme l’instauration d’un impôt sur les grandes fortunes et l’interdiction des OGM qui s’étaient développés sous les mandats de Morales.
Mais si le MAS a gagné avec une confortable avance une élection considérée comme « transparente et le reflet de la volonté des citoyens » par le TSE (Tribunal suprême électoral) et les observateurs de l’Organisation des États américains, les voix de l’opposition s’élèvent pour dénoncer les résultats. À Santa Cruz de la Sierra, la plus grosse ville du pays et chef-lieu du parti de Luis Fernando Camacho (candidat d’extrême droite arrivé troisième à l’élection présidentielle avec 14 % des voix), plusieurs mouvements de contestation demandent un audit de l’élection. L’appel à la grève citoyenne des associations crucénnienes a également trouvé écho dans sept autres régions du pays en fin de semaine dernière poussant le MAS à déclarer l’état d’urgence pour que la passation de pouvoir du 8 novembre se fasse sans encombre. Si celle-ci a bien pu avoir lieu, les tensions demeurent, le nouveau président ayant également survécu à un attentat à la dynamite perpétré jeudi dernier contre les locaux du MAS à La Paz. À lui maintenant d’imposer sa vision du socialisme pour tenter de calmer l’opposition et se détacher du souvenir encombrant d’Evo Morales.
Elise PIA