Après l’Uruguay, l’Argentine devient le deuxième pays d’Amérique Latine à garantir dans la fonction publique ce qui est plus populairement connu comme le Cupo trans (le quota trans). Depuis le 3 septembre, le décret 721 garantit un minimum de 1 % de tous les postes de l’administration publique nationale pour les travestis, transsexuels ou transgenres. Ce décret vient compléter les autres lois de défense et d’égalité des droits pour les minorités sexuelles du pays, après la loi pour le Mariage pour tous en 2010 et la loi sur l’Identité de genre de 2012, qui permettait le droit de voir son identité sexuelle auto-perçue reconnue sur la pièce d’identité, ainsi que l’accès à des soins de santé complets pour les personnes transgenres.
Photo : Transargentine.org
Depuis la montée au pouvoir des péronistes l’an passé et la création du « Ministère des femmes, du genre et de la diversité » dans la foulée, on se demandait quelle serait la première loi sociétale du gouvernement d’Alberto Fernández. Si de nombreux analystes pensaient au retour du débat sur la dépénalisation de l’avortement, une lamentable occasion manquée de la précédente législature (la loi avait été approuvée par le Parlement pour être finalement éconduite au Sénat), c’est la question des droits de la communauté trans qui sera la première abordée.
Les données sur la vulnérabilité des personnes trans en Argentine sont en effet sans appel : 69 crimes de haine envers cette communauté ont été enregistrés depuis début 2020. D’autre part, 80 % des personnes transgenres, transsexuelles ou travesties vivent de la prostitution, dans des situations de pauvreté extrême. Cette vulnérabilité entraine qu’en Argentine, l’espérance de vie moyenne des personnes transgenres, transsexuelles ou travesties est de 40 ans, un score élevé s’il est comparé à la moyenne régionale (35 ans). D’après Alba Rueda, secrétaire d’État aux politiques de diversité et première femme trans à atteindre ce niveau de responsabilités, « ces cinq années que nous avons réussi à gagner sont le fruit de récentes luttes sociales. »
Néanmoins, les mouvements sociaux historiques en Argentine, qui permirent l’acquisition de nombreux droits pour les travailleurs, n’ont pas encore réussi à y incorporer efficacement les minorités de genre, souvent enfermées dans une spirale de discrimination structurelle. Ce décret exprime donc une volonté de la part du gouvernement national de prendre sa part de responsabilité dans la problématique et de briser cette chaine de violence en tentant de remédier à l’un de ces maillons : le manque d’opportunités professionnelles.
Concrètement, ce décret prévoit la création d’une base de données par le Ministère des femmes centralisant aussi bien les profils d’emploi des personnes inscrites, les postes vacants et les offres de recrutement. Les différentes administrations nationales auront l’obligation de réserver 1 % de leurs postes à des personnes transsexuelles, travesties ou transgenres et de sélectionner des candidats depuis cette base de données.
L’approche globale de ce décret, grâce à la participation du Ministère de l’Éducation aux négociations interministérielles, entend également se pencher sur une des premières discriminations subies par les personnes trans, la déscolarisation qui entraine de facto à l’exclusion d’une série d’opportunités professionnelles. Le décret permet donc d’embaucher une personne trans à un poste pour lequel elle n’a pas terminé ses études à condition qu’elle termine le ou les niveaux d’études manquants. Un autre point du décret est la formation du personnel recrutant dans les administrations afin de garantir que l’insertion professionnelle se fasse dans des conditions de respect de l’identité et de l’expression sexuelle des personnes concernées.
Le Cupo trans a le mérite de reconnaitre les discriminations subies par les minorités de genre. Le gouvernement Fernández maintient par la même occasion la tradition péroniste d’obtenir des avancées sur le plan sociétal. Vu son caractère de décret, il parait essentiel que cette mesure parvienne à devenir loi, afin de lui octroyer une plus forte légitimité mais également pour que ces quotas puissent être étendus et atteindre les sphères professionnelles des milieux judiciaires et législatifs.
Il reste néanmoins que, dans un monde où une pandémie limite nos libertés et creuse les inégalités, où les coups de sang populistes et les appels à la haine font la Une des journaux et où certaines villes au sein même de l’Union Européenne devienne des no-go zones pour les communautés LGBT+, cette avancée significative pour l’égalité des chances en Argentine est perçue comme une vraie bouffée d’air frais.
Romain DROOG