Présenté comme un accord « voitures contre viande bovine », le projet d’accord commercial entre l’Union Européenne et les pays du Mercosur, signé en 2019, fait l’objet de nombreuses critiques de la part d’ONG et de gouvernements. Durant l’été, l’Allemagne, poids lourds en Europe, se joint à ces mises en cause. Fin de partie ?
Photo : CEE
Le Mercosur, c’est plus de 260 millions de consommateurs et un PIB annuel de 2 200 milliards d’euros et l’Union européenne compte une population de 780 millions de personnes et un PIB de plus de 15,5 milliards (avec le Royaume-Uni). Le processus de ratification de l’accord commercial entre ces deux ensembles par les parlements nationaux a commencé. S’il était couronné de succès, l’accord serait le plus important conclu par l’UE, non seulement pour la population concernée mais aussi en termes de volume d’échanges couverts (40 à 45 milliards d’euros d’importations et d’exportations).
Rien n’est certain aujourd’hui. Négocié pendant 20 ans, l’accord commercial signé en juin 2019 entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) subit des rejets de la part de gouvernements tels que la France, dès le sommet du G7 à Biarritz, et l’Irlande. Les parlements autrichien, wallon et néerlandais ont énoncé des résolutions contre l’accord sous sa forme actuelle. Enfin des ONG internationales portent des critiques juridiques et politiques en visant la Commission européenne.
Publié le 15 juin 2020, un texte de cinq grandes ONG alerte sur les dangers de cet accord. Il s’agit de la Fondation Nicolas Hulot, l’Institut Veblen, ClientEarth, Fern et la Fédération Internationale des droits de l’Homme qui écrivent : « la Commission n’a pas respecté son obligation légale de garantir que cet accord n’entraînera pas de dégradation sociale, économique et environnementale, ni de violation des droits humains. En cause : le premier projet de rapport de l’évaluation d’impact sur le développement durable n’a été publié que quatre mois après l’annonce officielle de la fin des négociations… vidant ainsi de son sens le processus d’évaluation préalable des impacts et rendant impossible toute participation effective de la société civile ». Les cinq organisations demandent de suspendre le processus de ratification tant que l’évaluation de l’impact n’aura pas été mené à son terme.
ONG et opinions publiques en alerte rouge
Droits humains, santé, économie, social et environnement dégradés, tous thèmes à même de soulever les oppositions des sociétés civiles européennes et latino-américaines, plus inflammables que jamais sur ces questions. La déforestation continue et amplifiée de la forêt amazonienne alimente les inquiétudes. Durant cet été 2020, les images spectaculaires des incendies de forêt en Californie donnent à voir ce que peut être « la fin du monde » et la nuit à midi. Un ordre de grandeur peut être retenu : depuis début septembre 2020, en Californie, les feux ont déjà ravagé plus de 1 000 km2 de végétation. En comparaison, dans l’Amazonie brésilienne, les feux sont environ dix fois plus importants. Sur les six premiers mois de l’année 2020, 3.069 kilomètres carrés de l’Amazonie brésilienne ont été rasés, selon les données de l’Institut national de recherche spatiale brésilien. C’est le pire chiffre jamais enregistré depuis que ces statistiques existent. Sur les 12 derniers mois, la déforestation a atteint 9.205 kilomètres carrés et a augmenté de 34,5%. En plus de la forêt amazonienne, d’autres sanctuaires de biodiversité comme le Pantanal et le Cerrado sont menacés de partir en fumée.
Des gouvernements ballotés
La semaine dernière, la chancelière allemande a exprimé de « fortes inquiétudes » concernant la « déforestation continue » et « les incendies », qui se sont multipliés en Amazonie, avec l’été. « Nous sommes sceptiques », a affirmé Stefan Seibert, porte-parole de la chancelière qui ajoute : « L’Amazonie concerne le monde entier ». Cette déclaration, qui a le don d’irriter les gouvernements du Brésil, intervient au lendemain d’une rencontre de la chancelière avec les responsables du mouvement Fridays for future, notamment Greta Thunberg. Pour l’Allemagne et sa puissante industrie exportatrice, l’opportunité de nouveaux débouchés semble partir en fumée. Pour la France aussi, dans des secteurs spécifiques, avec des gagnants et des perdants. Les ONG environnementalistes européennes ne manquent pas de rappeler que la déforestation est liée au commerce mondial de produits agricoles. Commerce contre climat, la balance est négative et pour les éleveurs français de bovins c’est « perdant-perdant ».
Les préoccupations écologiques, largement partagées dans l’opinion allemande et française ont un poids de plus en plus important en Europe. La Commission elle-même semble dorénavant plus portée à mettre les pays membres sur une trajectoire écologique intéressante (Green Deal, Pacte finance/climat) avec des financements certes insuffisants mais significatifs. Le rapport commandé par le gouvernement français à l’économiste Stefan Ambec est sans appel et porte le gouvernement de Jean Castex à poser de nouvelles exigences formulées en septembre : sur la déforestation, sur l’engagement climat, sur les dispositions sanitaires.
L’accord tel qu’il était signé ne recevra pas de ratification des parlements nationaux en Europe. Alors, abandon ou renégociation ? Rejet définitif de l’accord ou suspension ? Contraintes environnementales, climatiques et sanitaires nouvelles ou incitations lentes et aléatoires auprès des pays du Mercosur et du Brésil en particulier ? Aucun rendez-vous UE/ Mercosur n’est encore pris dans cette période de confinement larvé. « Le monde d’avant le coronavirus » dans lequel la négociation avait commencé il y a vingt ans n’est plus le même. Comment va-t-il être reconfiguré ? A La « mondialisation heureuse » espérée succèdent les représentations d’une mondialisation désespérante et catastrophique.
Maurice NAHORY