Au fil des mandats présidentiels américains, les faits donnaient à penser que la politique américaine menée depuis la Maison-Blanche était plutôt consensuelle aux États-Unis et conflictuelle, de manière violente ou masquée, à l’extérieur. Cette lecture est caduque depuis plusieurs années et Donald Trump a donné un tour extrême aux confrontations internes et externes, y compris à l’égard des compatriotes, des alliés et des amis. Ce qui s’est passé en septembre 2020 à la Banque interaméricaine de développement (BID) est un des exemples de son entreprise systématique d’affaiblissement des institutions et cénacles multilatéraux.
Photo : Banque Mondiale
La Banque interaméricaine de développement (BID- en anglais, IDB) est une organisation financière au niveau international qui a son siège à Washington (États-Unis). Elle fut créée en 1959 dans le but de financer des projets de développement économique, social et institutionnel tout en promouvant l’intégration commerciale au niveau régional en Amérique latine et dans les Caraïbes. Elle est la principale source de financement multilatéral pour la région. Ses deux buts prioritaires déclarés sont : pérenniser la croissance économique et lutter contre la pauvreté et les inégalités sociales. Les prêts approuvés en 2018 s’élèvent à 13,5 milliards USD.
Aujourd’hui, la BID compte 48 États membres, dont 26 sont des membres emprunteurs en Amérique latine et dans les Caraïbes. Les pays membres extra-régionaux comprennent 16 pays d’Europe plus Israël et le Japon. La République de Corée est devenue un pays membre en 2005. Cuba a signé mais n’a pas ratifié l’accord constitutif, de sorte qu’elle n’est pas devenue membre de la Banque. Le poids de vote de chaque pays membre est établi en fonction des fonds apportés au Capital Ordinaire (OC) de l´institution.
Une tradition rompue
Une tradition non écrite voulait que la présidence de la BID soit confiée à un Latino-Américain. C’est ainsi que les présidents successifs ont été depuis sa création : Felipe Herrera (1960-1970, Chili), Antonio Ortiz Mena (1971-1988, Mexique), Enrique V. Iglesias (1988-2005, Uruguay), Alberto Moreno (2005-septembre 2020, Colombie). Cette tradition est rompue : Mauricio Claver-Carone, Étasunien d’origine cubaine, est le président de l’institution depuis le 12 septembre 2020. La mise en cause de cette tradition « démocratique » par Donald Trump est sortie victorieuse, non sans tensions. Il soutenait Mauricio Claver-Carone, un de ses conseillers sur l’Amérique latine, né en Floride avec une ascendance cubaine. Washington disposait de 30 % des votes au départ et sa désignation avec 66,8 % des votes est un indicateur des tensions et des oppositions dans ce cénacle multilatéral à dominante latino-américaine. Bien entendu, le Brésil a voté pour le candidat Claver-Carone en mettant à sa disposition sa participation qui s’élève à 11,3 %.
Certains pays, avec en tête l’Argentine, ont bien tenté de reporter la décision ou d’éviter le quorum autorisant le vote, misant sans doute sur l’après-présidentielle étasunienne et un Trump défait. Cette tactique n’a pas fonctionné et le résultat laisse une communauté latino-américaine humiliée et plus divisée encore. Le Mexique a voté et a ainsi déjoué la tactique des opposants menés par l’Argentine. Le moment est crucial : plusieurs pays d’Amérique latine affrontaient une crise économique et politique déjà profonde avant le COVID. Elle deviendra plus aigüe aux plans économique, social, financier « après », un après qu’il est impossible de dater et qui se prolonge dangereusement.
Des objectifs de développement
La BID inscrivait ses politiques de prêts et de dons dans le cadre des Objectifs du développement durable adoptés par les Nations Unies en 2015. Ils nécessitent des partenariats multilatéraux. Lutte contre la pauvreté, santé, éducation, lutte contre le changement climatique sont des objectifs de l’agenda international jusqu’en 2030. Ces objectifs, adoptés par les pays latinos et extra-régionaux ne semblent pas être dans les sujets de prédilection du nouveau président de la BID, fidèle en cela à son mentor. Ancien du Fonds monétaire international, membre du Conseil national de Sécurité, il est plutôt connu pour son plaidoyer dur contre Cuba et son influence dans la politique américaine à l’endroit du Venezuela. Tout laisse penser que le nouveau président de la BID, considéré comme un idéologue féroce par l’équipe de Joe Biden, pourrait utiliser l’institution financière et le poids de l’apport étasunien pour contrer la présence financière en Amérique latine de la Chine, membre de la BID depuis 2009. Mais ce n’est pas la seule obsession de Donald Trump.
Dans le registre des comportements foutraques auxquels Trump a habitué le monde, il ne manquerait plus que resurgisse à la BID le dossier du financement du Mur à la frontière mexicaine. « Le pire n’est pas toujours certain » dit-on. Mais quand le pire est déjà là, on pourrait « aller de pire en pire ».
Maurice NAHORY