Un autre Équateur se dessine-t-il ? Prison confirmée pour Rafael Correa alors que Lenín Moreno renégocie la dette publique

À sept mois des élections présidentielles, l’horizon politique de l’actuel président Lenín Moreno semble se dégager de l’ombre de son prédécesseur. Réfugié en Belgique avec sa famille, Rafael Correa ne peut pas être extradé et pourra ainsi échapper aux huit années de prison ferme. Ce n’est pas le cas d’une vingtaine d’autres prévenus. 

Photo : France 24

La Cour Nationale de Justice (CNJ) d’Équateur a désigné Rafael Correa comme le principal responsable d’un réseau de corruption créé durant son double mandat (2007-20017). Dans le courant de ladite Décennie Gagnée, des pots-de-vin furent versés par des entreprises sur des marchés publics. La justice équatorienne a édicté la même sentence pour dix-huit personnes, dont l’ex-président Jorge Glas.

Désormais, si M. Correa décide de revenir en Équateur pour payer sa dette morale une question se pose. Ce face-à-face avec les tribunaux l’empêche-t-il de poursuivre son projet présidentiel ? Certainement car la Constitution de l’Équateur interdit aux « personnes condamnées pour fraude, corruption ou enrichissement illégal d’être candidates à des élections ». Il a été proscrit pendant vingt-cinq ans.

Depuis son refuge belge, Rafael Correa a toujours affirmé être victime d’une persécution menée par son ancien allié Lenín Moreno, et cette condamnation, selon lui, en est la confirmation :« C’est ce qu’ils cherchaient : obtenir en manipulant la justice, ce qu’ils n’ont jamais atteint par les urnes », a déclaré l’ex-président. « Nous gagnerons sûrement au niveau international, car tout cela n’est qu’une mascarade. Je connais le processus et ce que disent les juges, c’est du mensonge, ils n’ont absolument rien prouvé », avait dit-il encore sur tweeter pendant son procès par contumace en avril dernier. 

En réalité, le discrédit de Rafael Correa n’a fait qu’augmenter depuis mai 2019 lors de la mise en lumière de l’affaire « Riz vert » ; des soupçons d’association illicite remontent à mars 2017. L’ex-juge et conseiller de M. Correa, Pamela Martinez, et son assistante Laura Teran Betancourt, ont été impliquées dans le cadre de l’instruction fiscale en matière de corruption, de trafic d’influence et d’association illicite. Caisse noire – financements occultes – entreprise Odebrecht, c’est l’accablante trilogie qui touche le Conseil électoral national (CNE) après la dénonciation des « contributions » pour les campagnes présidentielles de Correa en 2013 et 2014.

Selon Fernando Villavicencio, c’est Correa lui-même le patron. Dans un entretien à la radio, le journaliste a déclaré qu’il possède des « documents qui montrent la responsabilité de l’ex-président, parce que Martinez était son assistante, et qu’elle n’était pas autorisée à agir de façon autonome.»À ces tracas judiciaires s’ajoute aujourd’hui la décision de la Cour Nationale de Justice sur sa participation à un réseau d’escroquerie pendant son mandat (2007-2017). 

Et dans le cadre du dossier baptisé « Sobornos 2012-2016 » (« pots-de-vin »), Correa (« courroie ») aurait apporté la courroie de transmission d’une mécanique bien rodée à l’huile des « dons volontaires » et composée d’une vingtaine d’engrenages parmi lesquels une dizaine d’entrepreneurs, neuf fonctionnaires de l’administration et l’ancien vice-président Jorge Glas. Ce dernier purge déjà une peine de six ans à la suite de l’enquête sur les pots-de-vin versés par l’entreprisse brésilienne de bâtiments publics Odebrecht. Les dix-huit condamnées ont encore la possibilité de se pourvoir en cassation. 

L’inculpation de Correa vient ainsi s’ajouter à la longue liste de fonctionnaires et ex-président latino-américains condamnés ou mis en examen pour corruption. Ce fléau intrinsèque à la vie politique est éclairé en partie par ce propos tenu par Correa, en mars 2019, et que les théoriciens du complot contre l’ex-présidents semblent avoir oublié : « il est inévitable, quand on a dix ou douze ans de pouvoir, d’avoir des cas de corruption ».

Sur ce point, Apostolius l’avait bien exprimé : « C’est par la tête que le poisson commence à sentir », voulant dire que ce sont les chefs qui, les premiers, se laissent corrompre. Et c’est ainsi que le proverbe cité par le philosophe grec résonne dans la déclaration faite à la presse par la procureure générale Diana Salazar : « Une structure a été créée pour recevoir des pots-de-vin en échange de contrats. Il a été déterminé que l’ancien président Rafael Correa était au sommet de la structure ».

De son côté, Lenín Moreno se replace dans la course à la présidentielle après les émeutes qui ont secoué le pays l’année dernière.  Rappelons que la colère populaire avait explosé à cause de l’annonce du retrait des subventions aux carburants, avant que le gouvernement n’annule cette mesure meurtrière imposée par le Fond monétaire international. À présent, le président renégocie avec les créanciers le paiement de la dette publique équatorienne, d’un montant de 17 375 millions de dollars. Il faudra attendre le 31 juillet et 75 % des créanciers favorables à une renégociation et à un accord. 53 % ont déjà accepté d’étudier la proposition de l’Équateur.

Ce règlement des comptes publiques, alors que la virulence du Covid-19 est loin d’être maîtrisée, n’est pas étranger à la suite des événements. En effet, selon le calendrier électoral, un nouveau président sera élu d’ici sept mois et Moreno, certainement rassuré par le sort de son ex-allié, poursuit son mandat avec l’idée d’aller au but d’une perspective de réélection. En outre, il a dit à plusieures reprises que son ennemi juré devrait rentrer au pays pour se rendre à la justice. Or, si la continuité de la carrière politique de Rafael Correa semble sérieusement compromise, le Conseil national électoral vient de jeter un gros caillou sur son chemin de retour. 

La veille de sa condamnation, le parti Fuerza Compromiso Social avait été suspendu pour « irrégularités » dans la procédure d’enregistrement des partis candidats. Par conséquent, la force politique fidèle à l’ancien président ne pourra pas participer aux élections présidentielles et législatives de 2021. Cette décision d’exclusion ne fait qu’étayer davantage la théorie du complot avancée par l’intéressé lui-même, qui peut compter sur le soutien d’acolytes tels que des juristes, des analystes politiques, des organisations sociales et des personnalités d’Équateur et d’autres pays.  

Eduardo UGOLINI