Madre. Dix ans se sont écoulés depuis que le fils d’Elena, alors âgé de six ans, a disparu. Dix ans depuis ce coup de téléphone où, seul et perdu sur une plage des Landes, il lui disait qu’il ne trouvait plus son père.
Photo : Allociné
Aujourd’hui, Elena y vit et y travaille dans un restaurant de bord de mer. Dévastée depuis ce tragique épisode, sa vie suit son cours tant bien que mal. Jusqu’à ce jour où elle rencontre un adolescent qui lui rappelle furieusement son fils disparu… Madre est un film très fort, qui nous prend réellement aux tripes. Rodrigo Sorogoyen explique très bien le processus de ce film à ne pas manquer, même en plein été. « Après avoir passé cinq ans à travailler sur deux thrillers d’assez grande envergure (Que Dios nos perdone et El reino), ma complice Isabel Peña (coscénariste) et moi avions tous les deux le désir de revenir à une histoire intime, de personnages. Nous voulions retrouver l’essence du premier travail que nous avons mené ensemble : Stockholm. Ainsi, l’idée de la course contre la montre d’une mère à la recherche de son petit garçon potentiellement aux mains d’un ravisseur– qui était le thème du court-métrage Madre– s’est effacée définitivement pour laisser place à l’histoire intime d’Elena qui, plusieurs années plus tard, cohabite avec sa douleur et lutte pour sortir de ce tunnel obscur dans lequel elle est plongée depuis longtemps. Le sentiment de perte du personnage d’Elena devait être tellement fort qu’en rencontrant ce garçon si spécial, Jean, elle en vienne à éprouver un sentiment puissant qui la pousse à ne penser qu’à lui, à vouloir être avec lui. Voire à mettre sa stabilité en danger (une stabilité qu’elle avait mis de longues et sombres années à trouver) pour rejoindre cet adolescent français pratiquement inconnu. Quelque chose nous semblait là terriblement puissant. Elena livre une autre bataille, en plus de celle de son propre conflit : la bataille contre les spectateurs (ceux de sa vie et ceux du film) qui pensent qu’elle fait tout ça parce qu’elle est folle. Dans notre volonté de comprendre Elena, on s’est interdit de l’appeler ainsi. On a préféré utiliser le terme « abîmée ». On a essayé de se mettre à sa place. Comment réagirions-nous s’il nous arrivait la même chose ? Madre devait être un voyage vers l’amour. Une histoire qui commence par la peur, avec une scène d’ouverture terrifiante, où deux personnages sont envahis par la peur. Mais qui devait se conclure avec deux personnages qui s’aiment, qui ont trouvé l’amour d’une façon ou d’une autre ».
En ce qui concerne la réalisation « Je ne pouvais pas imaginer tourner Madre en omettant la force du plan-séquence. Je trouvais intéressant de commencer le récit avec une forme aussi déterminée et caractéristique pour ensuite le casser avec un montage rapide, haché, fractionné. J’ai essayé de transmettre l’état de notre protagoniste à travers le montage. J’aime particulièrement l’idée que ce qui commence comme un cauchemar dans la première scène se déroule et finisse dans un joli paysage idyllique du sud de la France, plein de familles heureuses qui profitent de leurs vacances. »
A. L.
Madre de Rodrigo Sorogoyen. Espagne. 2 h 09. AvecMarta Nieto, Jules Porier, Alex Brendemühl – Espagnol-Français.
Une famille à Buenos Aires dans les années quatre-vingt-dix
Début des années 1990. Amanda, l’ainée de dix ans, son frère et sa sœur vivent alternativement sous le toit de leurs parents séparés à Buenos Aires.
Le statu quo est bouleversé lorsque leur mère annonce vouloir déménager avec son compagnon au Paraguay en amenant les enfants avec elle. Amanda se sent plus proche de son père ‘’bohème’’, sa mère étant plus stricte mais plus responsable. Elle devra se battre pour faire entendre sa voix. Ana García Blaya a porté cette histoire personnelle pendant dix ans avant d’en entreprendre la réalisation. « J’ai fait le choix d’une histoire narrée du point de vue d’une jeune fille de dix ans, celle que j’ai été, en effectuant un gros travail de mémoire et sans me soucier de l’opinion de ma famille, notamment celle de mes parents, afin d’être au plus proche de la psychologie de mon personnage. Ce fut un véritable voyage mental et émotionnel vers les années 1990… Les bonnes intentions ont à voir avec l’amour malgré les maladresses des uns et des autres ou les lacunes des gens. En reconnaissant nos limites et nos erreurs. Le père d’Amanda accède à la maturité à la fin du film lorsque, conscient de ses limites, il comprend ce qui est bon pour sa fille et la conseille. Les bonnes intentions de la mère sont de respecter la volonté de sa fille, d’écouter enfin sa protestation contre la décision drastique de déménager dans un autre pays et de lui permettre de choisir de comprendre que ce n’est pas une décision facile à prendre… Je crois que les problèmes économiques de l’époque (qu’on retrouve dans celle-ci aussi) ont laissé les femmes séparées trop isolées et ont également fait pression sur les hommes qui ne pouvaient pas assumer leurs responsabilités. Ainsi, l’impuissance économique des deux a fait surgir entre eux des conflits essentiellement économiques de manière très différente. »
Tout un travail a été fait avec les enfants pour recréer une famille et cela est parfaitement réussi afin de créer l’émotion. Un soin a été donné aux décors et accessoires pour que l’on sente l’époque. Il en a été de même pour la photographie de Soledad Rodríguez. « La musique du film est toute aussi importante que le décor ou les costumes, car elle donne à voir l’époque, en même temps qu’elle est une partie de l’héritage que mon père m’a légué. Elle est composée de chansons originales que nous écoutions en famille et qui rendent compte de notre façon de vivre. Il devait y avoir, au départ, des morceaux de nombreux groupes connus (Ramones, The Breeders, Bob Marley, Beatles, Rolling Stones, Iggy Pop, etc.) mais, compte tenu de notre budget, j’ai dû abandonner l’idée. Au moment du tournage, nous avons fait le choix de chansons de groupes argentins emblématiques de l’époque. Mais il y a aussi la musique composée par mon père que j’ai souhaité ajouter car je voulais ainsi rendre hommage à cet artiste qu’il a été plus tard. »
« Pour mon film, je n’ai pas introduit de références particulières à des cinéastes mais j’ai en tête beaucoup de leurs images qui m’ont certainement influencée. Je peux seulement dire qu’il y a quelque chose de la nostalgie du film Nobody Knows d’Hirokazu Kore-eda : ces enfants, seuls, s’organisant en l’absence d’adultes. Bien que les histoires ne se ressemblent pas, c’est un film qui n’a pas peur de l’émotion. » Malgré son sujet sérieux, le film est très enjoué et interprété avec beaucoup d’humour. On trouve souvent les films latinos tristes, celui-ci ne l’est pas !
A. L.
Les meilleures intentions, 1 h 27 mn de l’Argentine Ana García Blaya avec Javier Drolas, Amanda Minujín, Sebastián Arzeno.
Une jeune mexicaine à la recherche de son frère disparu
Tijuana Bible. Nick, un vétéran américain blessé en Irak, vit dans la Zona Norte, le quartier chaud de Tijuana. Il y fait la connaissance d’Ana, une jeune mexicaine à la recherche de son frère disparu depuis quelques semaines. Ensemble, ils vont plonger dans les bas-fonds de cette ville aux mains des narcotrafiquants.
Jean-Charles Hue est cinéaste, plasticien et vidéaste français né en 1968 à Eaubonne. Il connait bien Tijuana puisqu’il y réalise un premier long métrage documentaire en 2009, Carne Viva. Avec son deuxième long métrage, de fiction cette fois, La BM du Seigneur, sorti en janvier 2011, Jean-Charles Hue filme le quotidien de la communauté Yéniche, souvent assimilés aux Roms. Il enchaîne avec Mange tes Morts, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs et récompensé par le prix Jean Vigo en 2014. `æ partir de 2016, il s’intéresse de nouveau au quotidien des habitants de Tijuana et y tourne le court-métrage expérimental Tijuana Tales, 2017, et le moyen-métrage Topo y wera.
Avec Tijuana Bible, Jean-Charles Hue poursuit l’exploration de cette communauté. Le titre du film vient de petits livres en images (flip books) pornos que l’on achetait sous le manteau à Tijuana. «Même les bandits craignent Dieu, explique-t-il dans le dossier de presse. C’était un des propos du film de montrer l’importance de cette croyance. C’est une ambiguïté qu’il y avait déjà chez les yéniches. Tout est mélangé, c’est ce qui m’intéresse. Ce dont je suis le plus fier c’est d’avoir réussi, avec une équipe de 50 personnes, à tourner dans la Zona Norte« .
Nick est inspiré d’un jeune GI qui avait fait la guerre d’Afghanistan et qui avait sauté sur une mine avec ses copains. Il était le seul survivant. « Le piège, ajoute le cinéaste, était de risquer de porter un jugement moral simpliste sur l’Amérique d’aujourd’hui. La guerre d’Irak ou celle d’Afghanistan ne sont pas le sujet ici. Ce qui était intéressant par contre, c’était de raconter l’inverse de ce qu’on raconte d’habitude : non pas le passage de la frontière vers les États-Unis, mais un Américain qui va « se réfugier » au Mexique. S’il y avait un sujet au film ce serait Tijuana lui-même, ce lieu qui est tantôt l’enfer tantôt le paradis. Hormis les trois rôles principaux, les acteurs sont des proches et des amis qui jouent leurs propres rôles. Leur vie est pleine de danger à la vie comme à l’écran : Peanut (Roulette) et sa compagne, Marie, ainsi que mon ami, Gordo, tous présents dans le film dans leur propre rôle ont été assassinés depuis par le narcotrafic. Tijuana Bible leur rend hommage, à eux qui n’ont même pas leur nom inscrit au-dessus de leur tombe à la fosse commune de Tijuana. » Voici donc un film à l’atmosphère lourde. L’acteur principal, Paul Anderson, décharné, est très convaincant. L’image a un petit côté suranné. Un film à découvrir.
Alain LIATARD
Tijuana Bible de Jean-Charles Hue, drame, 1 h 32 mn. Avec Paul Anderson, Adriana Paz, Noé Hernández.