Dans le sixième pays du monde le plus touché par le Covid-19, la scène politique péruvienne est en pleine ébullition. Après les querelles entre le pouvoir exécutif et le Congrès, le président a confirmé l’appel aux urnes pour avril 2021. Une convocation populaire qui peut être le point d’arrivée d’un processus anti-corruption amorcé depuis la démission de Pedro Kuczynski, l’ancien président héritier d’une longue lignée de dirigeants corrompus.
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Depuis que je suis en charge de la présidence, à cause de la démission du président Kuczynski, je me suis engagé à mener à terme son mandat en donnant toute mon énergie pour faire un gouvernement honnête, main dans la main avec le peuple », a assuré Martín Vizcarra le 8 juillet. En même temps, il a montré sur Twitter le « décret suprême » convoquant aux élections générales pour le 11 avril 2021 dans le cadre de la législation péruvienne actuellement en vigueur.
En référence à la pandémie qui frappe durement l’Amérique latine, le chef de l’État a souligné qu’aucun facteur extérieur ne devrait influer sur la tenue régulière des élections. Le message est clair : ni la pandémie ni la crise politique ne pourront modifier « la prédictibilité des élections qui ont lieu tous les cinq ans ».
Le Covid-19 frappe sévèrement la population dans les zones défavorisées, surtout autour de la capitale Lima. La police, chargée de faire respecter le confinement, compte désormais environ 300 morts. Selon les sources officielles, émises par le Ministère de la Santé le 7 juillet, 310 000 cas ont été détectés, avec un bilan de 11 000 décès et 201 000 guérisons. Le Pérou est le deuxième pays le plus touché en Amérique latine.
Cependant, l’épidémie ne semble pas entraver le programme politique que Martín Vizcarrra s’est engagé à respecter. C’est une importante réforme qui vise à redessiner les frontières de la morale, une croisade patriotique contre les « mafias criminelles » dans un pays qui traîne derrière lui un très lourd passé de corruption. Et la crise politique actuelle a éclatée comme une pustule maligne frappée de plein fouet par les révélations concernant l’entreprise brésilienne Odebrecht.
En tirant des fils de l’écheveau de la corruption, plus de quarante enquêtes ont remontée jusqu’à des magistrats et quatre derniers présidents ont été impliqués dans cette affaire : Alejandro Toledo (2001-2006), Alan García (2006-2011), Ollanta Humala (2011-2016) et Pedro Pablo Kuczynski (2016-2018). A présent, l’attention concentrée sur la pandémie n’a pas atténué le séisme politique qui a poussé M. Vizcarra à dissoudre le Congrès, en septembre 2019, comme prélude aux élections législatives qui ont eu lieu en janvier 2020. Ces mesures ont été largement approuvées par la population.
Dans ce contexte, l’opacité autour du fonctionnement des partis politiques explique la proposition de Vizcarra d’abolir l’immunité parlementaire. Or, comme on pouvait s’y attendre, rendre visibles les rouages de la démocratie n’était pas à l’ordre du jour dans le programme des élus. Face à la résistance du Congrès, le président a annoncé le samedi 4 juillet un referendum pour 2021 afin de soumettre au peuple l’aval de cette proposition. Le lendemain, conscients de la popularité de cette mesure, les parlementaires ont finalement approuvé la réforme de la constitution mais avec des modifications : la levée de l’immunité concerne désormais non seulement les parlementaires mais aussi les hauts fonctionnaires du gouvernement, le président et ses ministres.
À moins d’un an de l’élection présidentielle, l’initiative de Vizcarra de « renforcer l’ensemble de l’État afin de vaincre les mafias criminelles et corrompues » tranche de façon radicale avec des habitudes qui semblaient immuables. Ainsi le président, qui a déjà promis de ne pas présenter sa candidature, s’est assuré l’appui du peuple en menant ce grand ménage. Les Péruviens, en effet, semblent vouloir saisir cette opportunité historique de se débarrasser d’un système institutionnalisé dans lequel des juges, des dirigeants et des anciens présidents ont succombé au credo de l’argent sale.
Et cette « purge » menée par le gouvernement a secoué l’échiquier politique après les élections législatives du 26 janvier dernier. Ces élections ont provoqué un effet charnière sur l’inertie politique qui régnait au Pérou. Ainsi le parti fujimoriste Fuerza Popular, qui était en tête des sondages avant le scandale Odebrecht, a été lourdement sanctionné : de 73 il est passé à 12 sièges. Ce résultat concluant, si l’on tient compte du total de 130 sièges du Parlement, permet d’envisager la fin de la dynastie Fujimori.
Les prochaines étapes de la politique d’assainissement sont inconnues, mais il n’y a pas de doute qu’elle va se poursuivre jusqu’aux élections générales de 2021. « Le Pérou réclame à grands cris de pouvoir prendre un nouveau départ », avait déclaré M. Vizcarra en septembre 2019 avant d’affirmer qu’ « il faut écouter la voix du peuple ». Et la vox populi attend avec impatience ce changement, fruit de la volonté de fer du président Vizcarra. Mais on peut se poser la question de savoir si les reformes en cours ont pour but de poser les bases d’un nouveau pays, ou bien s’il s’agit d’un changement de décor jusqu’à l’arrivé d’une nouvelle génération de dirigeants avides de pouvoir et d’argent. Quoi qu’il en soit, on ne peut que souhaiter voir le courage et la ténacité avec laquelle Martín Vizcarra tente de renouveler son pays s’étendre dans la région, comme au Chili ou en Argentine par exemple, où l’immunité parlementaire bénéficie les clans qui se perpétuent à la tête du pouvoir uniquement pour défendre leurs intérêts dynastiques.
Eduardo UGOLINI