En 2019, Saint-Fons dans le Rhône et deux territoires d’Amérique latine, Llanavilla au Pérou et Atiquizaya à El Salvador ont impliqué dans un projet d’éducation à la citoyenneté des enfants et des adolescents autour de trois questions au cœur de l’agenda international : l’environnement, les migrations et le genre. Nouveaux Espaces Latinos les a suivi depuis un an. Suites
Photo : Mairie de Saint-Fons
Le projet intitulé « Cap ou pas Cap ? » dont l’ambition est d’imaginer et de réaliser des initiatives communes au Nord et au Sud lie le local et le global, le présent et le futur, les petits et leurs parents, en incitant des enfants à être les acteurs du projet et les initiateurs d’une prise de conscience de leur entourage sur des questions « lourdes » de l’agenda du développement durable. Jusqu’en mars 2020, les trois pôles géographiques développaient des activités prévues dans le projet et les animateurs péruviens, salvadoriens et français nous disaient l’assiduité et l’intérêt des enfants réunis de manière régulière en ateliers, dans les écoles, en Amérique latine ou au Centre social et culturel à Saint-Fons. Au total, chaque pôle a réuni une quarantaine d’enfants. Peintures, dessins, poèmes, sorties dans les musées et reportages des journalistes en herbe ont fait la matière des rencontres, des travaux et des échanges des deux côtés de l’Atlantique. L’objectif était de faire, en fin de projet, une exposition internationale à partir des réalisations des enfants.
Un projet percuté par la pandémie de la Covid-19
« La crise est mondiale », « les remèdes n’existent pas ». L’avalanche des informations et des commentaires sur la pandémie, la peur commune, le confinement et la paralysie des activités partout dans le monde ont créé la stupeur et révélé l’interdépendance des sociétés. « Un seul monde », « la famille humaine » … Ces expressions qui peuplent les discours internationalistes prennent une consistance éprouvée de manière sensible et simultanée dans chaque pays. Pour chaque individu, dans l’incompréhension, l’appréhension ou la peur, la crise a impacté les corps, les émotions, les représentations. La vulnérabilité révélée de manière brutale n’a pas le même poids ici et là-bas. S’il y a du commun dans les situations des trois territoires, en particulier pour les enfants, l’échelle des problèmes est tout autre à Llanavilla, Atiquizaya d’une part et, d’autre part, à Saint-Fons
Nous avons pu joindre quelques acteurs du projet au Pérou et à El Salvador
Ángela López Barrutia est institutrice à l’école de Llanavilla, petite ville du district de Lima, située près de l’Océan Pacifique, avec des maisons précaires et des familles aux faibles ressources qui se nourrissent de pêche. « Tout manque ou est compliqué pour cette communauté : les voies de circulation, l’alimentation en eau, l’évacuation des eaux usées, la sécurité des personnes… » me dit Ángela. Elle parle de la vie avant la Covid-19. Dans un contexte où le Pérou est durement frappé par la pandémie (11 000 morts selon les chiffres des autorités, au 8 juin) une ville comme Llanavilla l’est encore plus. Les familles ont perdu leurs sources de revenus : travailleurs précaires de la construction à l’arrêt, petits vendeurs informels interdits, femmes de ménage tenues éloignées des familles qui les emploient. « Tous ont perdu leur emploi » et leurs maigres ressources monétaires. Aujourd’hui, dans les familles, les aliments sont rares et les dettes ne permettent plus de faire face aux services de base comme l’électricité. « Restent, dans chaque foyer, la frustration, l’angoisse et la peur. »
Pour les enfants, l’école s’est arrêtée en mars 2020. Ils ne reprendront les cours qu’en mars 2021. « Ils ont perdu le seul lieu sûr de la ville, là où ils peuvent se socialiser avec les autres enfants, jouer et se développer ». Llanavilla a reçu les immigrés de l’intérieur mais aussi beaucoup de migrants vénézuéliens fuyant les limitations et la faim dans leur pays. Le projet « Cap ou pas Cap » a permis un rapprochement entre les enfants péruviens immigrés de l’intérieur et les enfants vénézuéliens. Des trois thèmes du projet, celui des migrations a été le plus important aux yeux des enfants de Llanavilla.
Jennifer de Mirasol est une élue municipale de Atiquizaya à El Salvador. C’est une ville agricole de 28 000 habitants, en croissance démographique régulière. « C’est une municipalité agricole, entreprenante et heureuse, environ 80 % de notre territoire est un territoire rural où sont cultivés des légumes, des céréales de base et du café, où de nombreuses familles vivent de l’agriculture familiale. » La pandémie a fortement impacté les ressources des familles du fait de la paralysie des activités et du nombre important de travailleurs informels. Les enfants n’ont pas pu poursuivre leurs études depuis mars et « comme ils ne disposent pas des moyens électroniques nécessaires pour accéder à leurs cours, il y aura des résultats scolaires dégradés au cours des prochaines années. »
Le projet « Cap ou pas Cap » a abordé des questions de développement durable qui ne sont pas familières aux Salvadoriens sauf celle de la migration, « un sujet connu des enfants qui ont participé à cet atelier, et ce problème est cause de désintégration de nombreux foyers salvadoriens. »
Inégalités abyssales, travail informel élevé, absence de couverture sociale, systèmes de santé fragiles et saturés, services de base défaillants, activités économiques en chute libre : la pauvreté en Amérique latine va connaître dans les prochains mois une croissance vertigineuse : l’ONU parle de 45 millions de personnes. Les enfants, dont on dit qu’ils sont les moins vulnérables au virus, en sont déjà les victimes pour longtemps.
Maurice NAHORY