Le 9 juin, en pleine pandémie, trois mille personnes ont manifesté pacifiquement dans les rues de Quito. Avec des revendications contre le paquetazo de Lenín Moreno, contre le FMI ou encore contre l’action du gouvernement, cette mobilisation fait écho aux mouvements populaires qui avaient bloqué le pays du 3 au 13 octobre dernier.
Photo : Amnesty International Equateur
La seconde décennie du 21e siècle s’est terminée par de nombreux mouvements populaires en Amérique latine. Lancé par les manifestations contre l’augmentation du prix des transports au Chili, un souffle de révolte a rapidement gagné plusieurs pays de la région, dont l’Équateur. Après avoir signé un accord avec le FMI en mars 2019, le gouvernement équatorien a dû augmenter les prix du carburant et annoncer une série de réajustements économiques. Ces réformes, appelées « Paquetazo », ont déclenché dix jours de manifestation dans les rues de la capitale.
« No al paquetazo, no más despidos, no más feminicidios. Mujeres por el cambio » ( Non au paquetazo, plus de licenciements, plus de féminicides. Les femmes pour le changement.) Voici ce que l’on pouvait lire sur les pancartes lors de la manifestation du début du mois. Ces messages témoignent d’une résurgence des revendications de l’année dernière. En plus d’avoir obligé le gouvernement à reculer sur ses réformes, ces mouvements ont eu une forte portée démocratique dans la mesure où ils ont fait se confronter une population plus jeune aux méthodes nouvelles et des leaders sociaux plus âgés.
Selon la Defensoría del Pueblo, 70 % des personnes interpellées pendant les événements sont des adolescents et des jeunes de moins de trente ans. On a pu constater une fracture sociale entre ces nouveaux venus et les acteurs traditionnels de la politique. Des personnalités moins connues émergent comme Jaime Vargas (président de la CONAIE depuis 2017) ou encore Leonidas Isa, avec des postures et des valeurs différentes de celles de la vieille classe politique équatorienne incarnée par Rafael Correa ou Jaime Nebot.
Cette population plus jeune sait aussi utiliser les réseaux sociaux comme outils de lutte. Ils sont issus de mouvements divers tels que les réseaux étudiants ou féministes là où les anciens systèmes politiques sont souvent issus des mouvements indigènes. Les jeunes affichent souvent une diversité culturelle supérieure car issus de communautés indigènes mais ayant aussi profité d’une plus forte ouverture sur le monde.
Une brèche s’est créée et avec elle, c’est l’ancien monde politique équatorien qui est remis en cause. Les partis politiques et leurs leaders ont perdu le privilège exclusif de l’action politique. La société « digitale » est en train de montrer qu’il est possible de s’organiser politiquement sans eux. La « vieille politique », impliquée dans de nombreux scandales de corruption ces dernières années, a de plus en plus de mal à convaincre.
Cette brèche semble être une piste pour analyser la « nouvelle Amérique Latine » comme le préconise l’économiste Manuel Castells : « La gente quiere la democracia pero no cree en los que la gobiernan » (Le peuple veut la démocratie mais ne croit pas en ceux qui la gouverne.) En 2021, l’Équateur devra élire son nouveau chef de l’État. La course au pouvoir se fera sûrement autour de cette nouvelle structuration du monde politique équatorien.
Étienne FAIVRE