Fin mai, le monde entier découvrait George Floyd, un afro-américain étouffé par un agent de police blanc à Minneapolis. Cette mise à mort, face caméra et en plein jour, devint le visage du mouvement dénonçant les violences policières. Au Mexique, où les corps de police furent lourdement militarisés ces dernières années au nom de la lutte contre les cartels, George Floyd s’appelle Giovanni López.
Photo : Unidad
Giovanni López était un maçon d’une trentaine d’années. Il fut retrouvé mort le 5 mai dernier quelques heures après avoir été arrêté par la police de la ville de Ixtlahuacan de los Membrillos (État de Jalisco) pour ne pas porter de masque en plein confinement. Le lendemain, sa famille le retrouva à la morgue de l’hôpital, une balle dans la jambe et avec de nombreuses marques de torture sur la tête et le corps. Il fallut pourtant attendre que le voisin du nord s’embrase pour que le cas de Giovanni López fasse les titres de la presse nationale. Dans un pays où la violence est tristement banalisée, sa mort avait terminé noyée dans le flot des trop nombreux cas du même acabit. Comme pour George Floyd, l’arrestation de Giovanni López a été filmée. Alors que le jeune homme est embarqué par la police, un de ses proches lança un prémonitoire « Si lo matan, ya sabemos » (Si vous le tuez, nous le saurons). Le « I can’t breathe » mexicain.
Pourtant, l’affaire ne faillit pas voir le jour. Les proches de Giovanni López affirment que de nombreux acteurs, notamment le maire de la ville, firent en sorte que cette affaire soit étouffée, leur professant des menaces ou en essayant d’acheter leur silence. Depuis la publication de cette vidéo, les manifestations s’enchaînent un peu partout au Mexique, réclamant la fin des violences policières et que justice soit rendue pour Giovanni López. Quelques heures après les premières manifestations à Guadalajara, le gouverneur de l’État de Jalisco, Enrique Alfaro, annonçait l’ouverture d’une enquête et la détention de trois membres de la police locale.
Il aura fallu attendre un mois et des vagues de violence dans tout le pays, ainsi qu’une couverture médiatique du cas au-delà des frontières nationales pour qu’une enquête soit finalement ouverte. Sans la mobilisation citoyenne, la mort de Giovanni López n’aurait été qu’un exemple de plus du haut degré d’impunité qui règne dans le pays. Selon les chiffres de l’organisation « Impunidad Cero », dans l’État de Jalisco, seulement 0,6 % des plaintes enregistrées mènent à une condamnation. Selon les chiffres du dernier Latinobarometro, seulement 19 % des Mexicains affirment avoir confiance en leurs forces de police.
Malheureusement, comme souvent, les polémiques prirent le dessus sur le fond de l’affaire, répondant à tous les classiques du genre. Cela commença par la traditionnelle culpabilisation de la victime par les autorités : le motif de l’arrestation de Giovanni López passa d’ « absence de masque » à « agressivité envers les policiers » et « consommation de stupéfiants ». Ensuite, la couverture médiatique se focalisa principalement sur les destructions et les actes de vandalisme lors des manifestations. Et finalement, l’instrumentalisation des protestations à des fins politiques. En effet, le parti au pouvoir dans l’État de Jalisco affirme que les manifestations furent orchestrées depuis la capitale et infiltrées par des membres de Morena (le parti du président Andrés Manuel López Obrador). Le but serait de faire de cette affaire « un nouvel Ayotzinapa ». Presque six ans après les faits, les corps des quarante-trois étudiants d’Ayotzinapa restent introuvables et aucune enquête n’a pu encore apporter des résultats satisfaisants pour les proches des disparus. Maintenons donc l’espoir que la mort de Giovanni López ne se convertisse pas en « nouvel Ayotzinapa ».
Romain DROOG