Dans les premiers jours de mai, des dépêches d’agence ont fait état d’une « opération Gedeon », qualifiée par Caracas de tentative d’incursion américaine au Venezuela, par voie maritime, et visant Nicolás Maduro, le président vénézuélien. Cette opération bien qu’avortée est apparemment sérieuse, au point de mettre en scène les plus hautes autorités politiques des États-Unis, de la Colombie et du Venezuela. L’opération s’est soldée par la mort de huit hommes et l’arrestation de quelque quarante protagonistes.
Photo : Primera Edición
Le Venezuela n’a jamais connu d’occupation militaire de la part d’un pays étranger. Il y a quelques mois, une telle hypothèse était évoquée par la présidence des États-Unis. Donald Trump avait alors proféré ces mots : « toutes les hypothèses sont sur la table » pour chasser du pouvoir le président Nicolás Maduro, y compris l’option militaire avait-il répondu à une question de journaliste. Les semaines passant, les observateurs ont cru comprendre qu’une telle option avait bien été envisagée puis abandonnée. C’est une conclusion qu’on pouvait tirer de la tournée internationale de Juan Guaido, président auto-proclamé de l’opposition vénézuélienne, reconnu par une soixantaine de pays dont les USA, la Colombie, le Brésil et l’Union européenne.
Les faits et les mots
Le Venezuela a clairement subi une agression de la part de protagonistes que ses forces militaires ont abattus et capturés. Au lendemain de l’opération, le lundi 4 mai dernier, au cours d’une intervention télévisée, le président vénézuélien avait montré divers documents et équipements qui auraient appartenu aux assaillants présumés : un passeport américain, un permis de conduire, des cartes professionnelles de Silvercorp, une société de services de sécurité basée en Floride et des outils de communication de terrain. La société avait bien essayé de monter en Colombie trois camps d’entrainement de fortune pour cette « invasion » mais les « soldats » se sont faits rares, les armes légères et les moyens financiers insuffisants. La prime de 15 millions de dollars offerte par le gouvernement américain pour la capture du « narcoterroriste » Nicolás Maduro a dû aiguiser l’appétit de tout un petit marais de mercenaires conduits par Luke Denman, un ancien des forces spéciales américaines, auxquelles il a appartenu de 2006 à 2011, et d’Airan Berry, lui aussi ancien des forces spéciales de 1996 à 2013. Des semaines avant le 3 mai, l’opération en préparation est bien ébruitée et n’a vraisemblablement pas échappé aux services de renseignement vénézuélien.
Dès mardi, le surlendemain du coup de force avorté, le président Trump apprenant la détention des deux Américains, avait promis au cours d’un point de presse à la Maison-Blanche poursuivre les investigations les concernant. Mais il avait surtout insisté sur le fait qu’ils n’étaient ni de près ni de loin liés à une quelconque action de son gouvernement. Dans la soirée, le secrétaire américain à la Défense, Mark Esper, avait réaffirmé que « le gouvernement américain n’avait rien à voir avec ce qui s’est passé au Venezuela ces derniers jours ».
À ce jour, ce sont plus d’une trentaine de vénézuéliens qui sont détenus pour avoir participé, de près ou de loin, à l’opération. Parmi eux, on trouve les deux ex-bérets verts américains, le neveu d’un ex-militaire vénézuélien réfugié à l’étranger et recherché par la justice vénézuélienne et quelques mercenaires qualifiés de terroristes par les autorités vénézuéliennes. Au total, il s’agirait d’une opération de force et non d’un déploiement militaire d’ampleur.
Coup raté, gain politique
En fait, tout le monde s’accorde à dire qu’il ne s’agit pas d’une tentative d’invasion massive par des forces armées. Toutefois, pour le gouvernement vénézuélien il s’agirait d’un complot ourdi par la Maison Blanche avec la complicité de Juan Gaido. Cette affaire quitte donc le plan militaire pour le terrain politique. Le premier vice-président de l’Assemblée nationale constituante (ANC), Diosdado Cabello, continue d’affirmer que « les USA et les secteurs extrémistes de l’opposition ont sous-estimé le chavisme » qui a déjoué, depuis vingt ans, toute tentative de déstabilisation. Dans cette intervention à la Télévision vénézuélienne (VTV), le vice-président ajoute que le gouvernement sait qui a financé cette opération, faisant allusion à Juan Gaido et évoquant un « contrat ».
Juan Gaido, tout en niant son implication dans ce coup raté, a déclenché la « démission » de deux de ses conseillers. Cela dénote pour le moins un grand embarras. Selon El País (11 mai), “Il s’agit du stratège politique Juan José Rendón et du député Sergio Vergara, appartenant à son cercle le plus proche ». Tous deux résident aux États-Unis et le Venezuela sollicitera leur extradition. Le Procureur vénézuélien, Tarek William Saab, a eu en outre des mots très durs à l’encontre du gouvernement colombien et de son président Iván Duque, qu’il a accusé de protéger et de planifier des camps d’entrainement militaire et des conspirations « pour agresser le Venezuela ». Dans son style, Donald Trump s’est quant à lui employé à arrêter les spéculations en déclarant sur une chaîne de télévision américaine dès le vendredi 8 mai : « Si je voulais aller au Venezuela, je ne n’en ferais pas un secret. Je n’enverrais pas un petit groupe, j’y enverrais une armée ».
Une subversion ébruitée, un naufrage assuré
Selon l’opposition, des vidéos ont abondamment circulé la veille de la tentative de débarquement de l’équipée subversive, sur WhatsApp et les réseaux sociaux, annonçant une rébellion pour « mettre fin à l’usurpation politique et liquider la dictature » (El Pais, 11 mai). Dans le même sens, Gilles Paris (Le Monde, 11 mai) rapporte que « Le 1er mai, le journaliste de l’agence Associated Press Joshua Goodman publie une dépêche consacrée à la tentative ratée pour chasser Maduro conduite par un ancien béret vert, le patron de l’agence de sécurité basée en Floride. L’article décrit minutieusement les efforts déployés par un ex-militaire américain, Jordan Goudreau, pour mettre sur pied une petite milice capable de débarquer sur les côtes vénézuéliennes afin de déclencher un soulèvement général ». Cette dépêche trop tôt sortie serait comme le synopsis d’un film d’action sans grand moyens (deux esquifs) qui va se jouer deux jours plus tard. « L’opération présentée comme avortée va avoir vraiment lieu ». Le président Maduro a commenté le scénario : « ils se prennent pour Rambo ». Mais ce n’est pas une mauvaise fiction : on dénombre huit morts et une quarantaine de détenus.
Les protagonistes de cette rocambolesque opération qui mêle d’anciens militaires vénézuéliens en exil, des mercenaires de tout poil et des militaires et civils exaltés ou désespérés, à l’intérieur et à l’extérieur du Venezuela, ont déjà été à l’origine d’autres tentatives de soulèvements avortés. L’opération Gedeon est l’une d’entre elles et elle n’est probablement pas la dernière tant qu’une solution politique ne pourra pas être envisagée à la crise vénézuélienne où même les horloges se dérèglent.
Maurice NAHORY