Le 11 mai, les librairies pouvaient enfin rouvrir. Pendant ces deux mois ou presque, les sorties n’ont pas pu se faire. Certains livres seront en librairie dans les semaines à venir tandis que d’autres ne sortiront que cet été ou même en septembre (la rentrée sera d’ailleurs très différente de celles des années passées puisque beaucoup moins de livres seront mis sur le marché). Par ailleurs, plusieurs livres prévus pour le mois dernier ne verront le jour qu’en 2021. Les nouveautés de février et de mars n’ont pas pu être vendues comme l’attendaient et l’espéraient les éditeurs, les libraires et les auteurs. Aujourd’hui, nous mettons à nouveau en avant les bons romans que nous avons évoqués durant le confinement, tentant ainsi d’éviter qu’ils soient occultés par la situation actuelle.
Photo : 8 éditions
La mémoire tyrannique de Horacio Castellanos Moya (El Salvador) joue, comme toujours chez cet auteur, sur le tragique de la situation de 1944 dans son pays. L’humour grinçant de ce roman nous permet de sourire et de rire d’événements absolument tragiques tout en suivant l’évolution d’une bourgeoise proche du pouvoir amenée à prendre conscience de ce qu’est une dictature aveugle. C’est une autre mémoire, que l’on pourrait aussi qualifier de tyrannique, qu’évoque l’argentin Guillermo Saccomanno dans 1977 : l’auteur s’intéresse ici à la mémoire d’un modeste professeur, jadis traumatisé par la mort violente de deux de ses amies, en 1955, quand Perón avait été destitué et qui, vingt ans plus tard, voit réapparaître les menaces de la dictature.
La mémoire était également au centre de Retour à Ithaque, film de Laurent Cantet sur un synopsis de Leonardo Padura, qui évoque la rencontre d’anciens amis qui ont perdu les liens qui les avaient unis jusque-là dans le centre de La Havane. Le livre du même nom représente une vraie richesse et n’est pas la transcription du scénario : les deux auteurs en expliquent la genèse et s’attardent surtout sur leur vision de leur rencontre. La mémoire de la française Michèle Teysseyre est, elle, indirecte : la narratrice de son roman, Patagonie, retrouve un paquet de lettres écrites un siècle plus tôt et va tâcher de reconstituer la vie en Argentine de son lointain ancêtre. L’auteure arrive, à force d’imagination, à recréer une Argentine des immigrants d’un réalisme poétique troublant.
Les deux frères Óscar et Juan José Martínez (Salvador) sont, eux, à l’opposé de l’imagination : les deux ouvrages qu’ils ont publiés fin février et début mars, El Niño de Hollywood et Voir, entendre et se taire, sont deux reportages remarquablement documentés (Juan José a passé un an au contact direct d’un des gangs les plus sanguinaires de San Salvador) qui entraînent leurs lecteurs au cœur d’un pays des plus violents. Les deux frères expliquent ce qui peut y être expliqué (tout n’est pas rationnel, loin de là) et donnent un éclairage nouveau sur ces zones abandonnées par les autorités locales.
On peut aussi s’évader, oublier pendant les quelques heures d’une lecture notre monde cruel, et entrer dans une ambiance bien pire : celle, peuplée de monstres sortis de la mer, de Cochrane vs Cthulhu du chilien Gilberto Villaroel. Cette ouvrage nous livre une aventure fantastique sur un fond historique, l’époque napoléonienne, avec un décor sinistre et grandiose, le fort Boyard autour duquel le futur héros de l’indépendance dans plusieurs zones d’Amérique du Sud s’allie aux Français pour anéantir les créatures marines.
Enfin, si l’on connaissait déjà Padura, Castellanos Moya et Saccomanno en France, ce printemps bien particulier nous aura permis de découvrir le péruvien Gustavo Rodríguez, déjà auteur de plusieurs romans en espagnol et dont la première traduction nous est enfin parvenue. Les matins de Lima n’est pas un roman, mais plutôt quatre, cinq ou six, en commençant pas une comédie un peu folle et réaliste à la fois, dans une Lima moderne et traditionnelle, déjantée. L’auteur ne respecte presque rien et le fait dans la bonne humeur. Rire du malheur des autres peut faire un bien fou !
Christian ROINAT
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