Depuis quelques années en France, Conceição Evaristo commence à se faire connaître. Née dans une favela de Belo Horizonte, ayant dû lutter pour devenir institutrice, puis professeure, elle publie depuis les années 1990 des œuvres, poèmes ou narrations dans lesquelles cohabitent expérience personnelle, voire intime, et expérience collective. Cependant, Conceição Evaristo se considère avant tout comme un simple membre de la communauté de plusieurs centaines de milliers d’Afro-Brésiliens qui n’ont pas ou très peu la parole dans leur pays.
Photo : Periferias
Ses yeux d’eau est un recueil de quinze nouvelles dans lesquelles est décrit le Brésil des plus pauvres. La ville, les quartiers, les intérieurs surpeuplés sont le décor de ces histoires de femmes, d’hommes, d’enfants et d’adolescents qui n’ont pas eu le temps ou la possibilité de savoir qu’ils étaient enfants. Ce que montre Conceição Evaristo est marqué à la fois par une grande cruauté et par une grande beauté : les femmes comme les enfants souffrent et résistent, les hommes aussi, souvent mais pas toujours.
Les histoires racontées sont dures, cruelles : elles décrivent des réalités parfois insoutenables auxquelles ces personnes, enchaînées à perpétuité, survivent cependant au quotidien, n’ayant pas eu la chance d’en connaître d’autres. Mais les histoires de Conceição Evaristo peuvent aussi être tendres. La narratrice est proche de ces êtres cassés et elle trouve toujours en eux des lueurs de bonté et d’espoir. Dans ce Brésil de la misère, l’espoir et la bonté ne durent guère mais sont capables de renaître après une éclipse. Rien n’est vraiment stable, le moment de fragile bonheur ne durera probablement pas mais l’effondrement qui le suit non plus : la vie est ainsi pour ces « petites » gens dont on découvre qu’ils ne sont pas aussi « petits » que cela, qu’ils peuvent être admirables ou méprisables et qu’au fond ils nous ressemblent.
Et puis il y a les mots, les phrases de Conceição Evaristo. Si l’auteure a publié plusieurs recueils de poèmes, lorsqu’elle choisit d’écrire en prose, des récits, elle écrit encore de la poésie. Il suffit de lire le premier des textes de ce livre, dont le titre est à l’origine du titre du recueil. D’emblée, nous sommes plongés dans une beauté pleine de tendresse, de douceur, d’un amour profond et éloigné de tout effet spectaculaire, la discrétion étant une autre des qualités principales de cette écriture. Pourquoi privilégierait-on les effets quand on est complètement sincère ?
On referme ce livre d’une part tonifié d’avoir vu avec des mots de toute beauté tous ces courages modestes qui malgré tout sont vainqueurs des adversités et d’autre part animé par le désir de ressembler à ces femmes et à ces hommes, bien plus à plaindre que nous, qui pourtant nous donnent des leçons de vie.
Christian ROINAT
Ses yeux d’eau de Conceição Evaristo, traduit du portugais (Brésil) par Izabella Borges, éd. des femmes-Antoinette Fouque, 192 pages, 15 €. En portugais : Olhos d’água, ed. Pallas, Rios de Janeiro. Conceição Evaristo en français : L’histoire de Poncia / Banzo, mémoires de la favela / Insoumises, éd. Anacaona / Poèmes de la mémoire et autres mouvements, éd. des femmes-Antoinette Fouque.