Les petites phrases du chef de l’État brésilien qu’il faut retenir cette semaine : « C’est moi qui commande ! » Hélas pour lui, il n’est pas obéi. Et : « Je suis un messie [une allusion à son second prénom, Jair Messias Bolsonaro], mais je ne peux rien faire ! – Et bien, gouvernez président », lui répond un éditorialiste ! Reprenons dans l’ordre.
Photo : Diagonales
Acte un, vendredi 24 avril 2020. Jair Bolsonaro renvoie le directeur de la Police fédérale Mauricio Valeixo, officiellement « pour mettre à sa tête un homme qui puisse lui donner des informations sur les enquêtes en cours. » Réaction immédiate de Sergio Moro, le ministre de la Justice, autorité de tutelle de la Police fédérale : il annonce sa démission avec fracas le lendemain. C’est lui qui avait nommé Mauricio Valeixo à son poste, c’était l’un de ses proches collaborateurs lorsqu’il était juge à Curitiba, chargé des enquêtes sur l’affaire de corruption Lava Jato.
Un renvoi au parfum sulfureux
Sergio Moro convoque la presse pour expliquer les raisons de son départ. Jair Bolsonaro lui aurait confirmé que l’éviction de Mauricio Valeixo « était politique », il en détient la trace de sur sa messagerie WhatsApp et se dit prêt à en apporter la preuve. Derrière ces raisons politiques, il y aurait des enquêtes, menées par la Police fédérale, qui visent deux des fils du président : Flavio, l’aîné, sénateur, soupçonné d’avoir octroyé des faveurs aux milices paramilitaires de Rio de Janeiro pour la construction et la revente d’immeubles édifiés illégalement, dont il aurait utilisé une partie des fonds pour financer sa campagne électorale de 2018. Mais aussi Carlos, le second, député municipal de Rio de Janeiro, soupçonné d’être l’instigateur de ce qu’on appelle au Brésil la fabrique des fakenews, autrement dit, l’usine à tweets de Jair Bolsonaro. Le Tribunal suprême a décidé de se pencher sur les déclarations de l’ex-ministre, qu’il considère comme graves.
Valse-hésitation à la tête de la Police fédérale
Entre temps, Jair Bolsonaro désigne à la tête de la Police fédérale, en remplacement de Mauricio Valeixo, Alexandre Ramagem, jusqu’alors chef des services secrets. C’est un ami proche de la famille, plus précisément un intime de Carlos Bolsonaro. Alexandre de Morais, juge au Tribunal suprême, barre cette nomination pour raison majeure : risque de collusion entre les parties. Fou de rage, le président accuse Alexandre de Morais de bafouer son autorité, c’est moi qui commande. Il est tout de même contraint de s’incliner devant les institutions. Il cherche désormais un remplaçant provisoire à Alexandre Ramagem, mais n’a pas renoncé à le confirmer ensuite à ce poste.
La confession de Sergio Moro
Acte deux, samedi 2 mai 2020. Sergio Moro est entendu, pendant près de huit heures, par trois enquêteurs de la Police fédérale, à la demande du Tribunal suprême. Selon la revue Veja, il fournit toutes les preuves de ses déclarations en mettant à disposition des enquêteurs la totalité de la mémoire de son téléphone portable. La suite dépend maintenant de l’appréciation du juge du Tribunal fédéral chargé du dossier, José Celso de Mello Filho. Sergio Moro pourrait être inculpé de diffamation si ses déclarations ne sont pas étayées par des faits, et, au contraire, l’enquête pourrait se poursuivre contre Jair Bolsonaro si le Tribunal suprême estime qu’il a outrepassé ses devoirs de fonction en démettant Mauricio Valeixo. Cela pourrait éventuellement conduire au lancement d’une procédure de destitution devant l’Assemblée fédérale.
Prémisse d’un impeachment ?
C’est un cas de figure très peu probable. Il est en effet constitutionnellement de la compétence du chef de l’État de nommer les hauts fonctionnaires, dont celui qui dirige la Police fédérale. Il n’est pas non plus certain que sa volonté d’être informé des enquêtes en cours au sein viole l’indépendance de cette institution et du pouvoir judiciaire. S’il y a une qualité qu’on peut toutefois reconnaître à Jair Bolsonaro, c’est son instinct politique sans faille. Il multiplie les provocations, certes, à la manière de Donald Trump son mentor, mais, comme lui, il sait s’arrêter à temps. C’est pourquoi il a reculé — provisoirement — dans l’affaire de la nomination du chef de la Police fédérale.
Covid-19 : Bolsonaro messie impuissant
Acte trois, mardi 28 avril. La crise sanitaire explose au Brésil qui annonce 5 083 morts officiels du Covid-19, 1 000 de plus que la veille. Selon plusieurs spécialistes, le chiffre est largement sous-estimé. En cause, le fait que beaucoup de décès liés à des syndromes respiratoires ne sont pas attribués au coronavirus. On n’en est pas sûr, mais il pourrait y avoir plus de 10 000 morts et un million de personnes infectées au Brésil. Interrogé par un journaliste sur cette explosion des décès, Jair Bolsonaro répond : « Et alors ? » Il poursuit : « Je suis un messie, comme mon nom le précise, mais je ne peux pas faire des miracles ». Réponse du tac au tac d’un éditorialiste : « Et bien gouvernez, Président ! » Jair Bolsonaro apparaît de plus en plus dépassé par la pandémie. Il multiplie les faux pas, en prenant régulièrement des bains de foule, sans masque et sans distance sociale, estimant toujours que cette maladie n’est qu’une petite grippette et que le confinement va tuer plus de monde que la maladie.
Des bons mots à rebours du bon sens
Depuis l’apparition de la première victime de la maladie, il multiplie les bons mots, tous plus décalés les uns que les autres. Le 19 avril, Manaus creuse frénétiquement des tombes communes pour enterrer ses morts, Jair Bolsonaro déclare : « Fossoyeur, ce n’est pas mon métier. » Le 24 mars, alors qu’on en est encore qu’au début de la pandémie : « J’ai plus de 60 ans, mais, vu ma constitution d’athlète il ne m’arrivera rien. » Deux jours plus tard, le 26 mars, il y a 30 morts de plus que la veille. « Il faut étudier les Brésiliens. Quand il plonge dans un égout, il nage et en ressort indemne. Je pense que beaucoup de gens ont déjà été infectés au Brésil, qu’ils ont des anticorps et que le virus ne va pas se propager. » Le 2 mai, on en est à 6 412 décès officiels et les chiffres ne cessent de grimper.
Un pandémium de la guerre politique
« En seize mois de gouvernement, Bolsonaro est parvenu à faire de son cabinet un gigantesque pandémonium que la pandémie du coronavirus a transformé en théâtre d’une guerre ouverte », écrit Jean-Yves Carfantan sur son blog Istoé Brésil. Le chef de l’État « est aux soins politiques intensifs », poursuit Jean-Yves Carfantan, « il y aura probablement deux périodes dans la Présidence Bolsonaro. La première a commencé à l’investiture, en janvier 2019, la seconde démarre maintenant. Il n’est pas certain qu’elle soit aussi longue que la première. » Acte quatre, dimanche 3 mai 2020. Conscient de l’isolement politique dans lequel il est en train de s’enfoncer, Jair Bolsonaro cherche une issue en direction du marais des partis du centre parlementaire pour se construire un semblant de majorité présidentielle. Ce faisant, il renoue avec les pratiques de la vieille politique qu’il avait tellement fustigée durant sa campagne électorale de 2018 : des faveurs gouvernementales contre des appuis à l’assemblée. Pour y arriver, toujours la même méthode, il menace l’ensemble de ses ministres réticents à accorder de telles faveurs de les démissionner.
Le marais en ligne de mire
Ce Centrão, auquel le chef de l’État a appartenu durant ses vingt-sept ans de vie parlementaire, regroupe 200 députés. S’il arrive à en faire le plein, Jair Bolsonaro bénéficierait d’une majorité confortable. 172 votes en effet sont nécessaires pour bloquer l’ouverture d’une procédure de destitution. Pas sûr que ça marche, ses supporters potentiels à l’Assemblée sont très divisés. Pas sûr non plus que cela échoue, l’opposition est aussi totalement éclatée…
Acte cinq, dimanche 3 mai 2020. Pour le cinquième dimanche de suite depuis le début de l’épidémie de coronavirus, Jair Bolsonaro prend un bain de foule dans les rues de Brasilia, sans masque et sans respecter les distances sociales. Il annonce à ses supporters qu’il cogite tout de même de nommer son poulain Alexandre Ramagem à la tête de la Police fédérale, malgré l’interdit prononcé par le juge Alexandre de Morais du Tribunal suprême. Mais finalement, il choisit une fois de plus de biaiser, il désigne Roberto de Souza, adjoint direct d’Alexandre Ramagem à l’ABIN, les services secrets brésiliens, en annonçant que cette fois, il n’admettrait plus « de nouvelles interférences dans son gouvernement« . Fin provisoire du feuilleton… Les tragédies classiques s’écrivaient en cinq actes, Jean-Yves Carfantan va nous en offrir un sixième. Il nous promet une suite sur son blog Istoé Brésil ; Bolsonaro (2), à suivre… jusqu’en 2022 ? (2)
Jean-Jacques FONTAINE
(2) https://www.istoebresil.org