Après s’être débarrassé de son ministre de la Santé Luiz-Henrique Mandetta qui prônait le confinement de la population face au coronavirus contre son avis, Jair Bolsonaro a contraint Sergio Moro, son ministre de la Justice, à la démission. Ceci après que le président ait exonéré le directeur de la Police fédérale Mauricio Valeixo, proche collaborateur que Sergio Moro avait amené dans ses valises à Brasilia lorsqu’il a été nommé ministre en novembre 2018. Auparavant, Mauricio Valeixo collaborait étroitement avec le petit juge de Curitiba lorsqu’il menait les enquêtes contre la corruption Lava-Jato.
Photo : Primera Plana
« C’est moi qui commande »
Bolsonaro s’est débarrassé de Mauricio Valeixo pour mettre à sa place un homme à lui, susceptible de lui repasser des informations sur les enquêtes menées par la Police fédérale. Quasi mécaniquement, la destitution de Valeixo a entraîné la démission de Sergio Moro. Depuis, le torchon brûle entre le président et son ex-ministre : « Bolsonaro a renvoyé le directeur de la Police fédérale sans motif » clame Moro, « et il a admis publiquement que derrière cette décision, il y avait des raisons politiques. » Jair Bolsonaro ne dément pas. « Sergio Moro m’a mis un marché en main : la démission de Valeixo, mais seulement au mois de novembre et à condition que je lui garantisse un poste de juge au Tribunal suprême. » Démenti formel de Sergio Moro : « le président élu m’avait donné carte blanche pour choisir mes collaborateurs. »
Que cherche Bolsonaro avec ce double renvoi de Luiz-Henrique Mandetta et de Sergio Moro ? Formellement, asseoir son autorité au moment où sa gestion de la crise du coronavirus se révèle de plus en plus chaotique : « c’est moi le chef, c’est moi qui commande » ne cesse-t-il de répéter. « Quelque chose est monté à la tête de certains [des ministres], mais leur heure va arriver, mon stylo pour les rayer fonctionne. » En s’en prenant à ces deux ministres, largement plus crédibles et populaires que lui dans l’opinion publique, le président s’isole cependant encore un peu plus, retranché au sein de ses maigres partisans inconditionnels.
La protection du père
Alors derrière la manœuvre présidentielle, il pourrait y avoir autre chose. La Police fédérale enquête en effet, à la demande du Tribunal suprême, sur les finances électorales de Flavio Bolsonaro, le fils du président, lors de sa campagne pour être désigné sénateur en 2018. À travers un de ses hommes de paille, affirme le site d’investigation The Intercept Brasil, Flavio Bolsonaro aurait subventionné la construction illégale d’immeubles avec de l’argent public, pour le compte de la milice paramilitaire de Rio de Janeiro, et se serait ensuite payé à travers ces transactions. Si cette accusation est confirmée, l’éviction du directeur de la Police fédérale Mauricio Valeixo et la démission de son ministre de tutelle Sergio Moro prennent une autre couleur.
Samedi 25 avril, les choses se sont encore envenimées pour Jair Bolsonaro. Suite aux preuves dévoilées publiquement par Sergio Moro quant aux pressions que le président auraient exercées sur lui pour influencer les enquêtes en cours de la Police fédérale, plusieurs parlementaires, dont des membres de partis qui le soutiennent, réclament la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire afin de juger si certains des actes du président n’ont pas violé ses devoirs constitutionnels. En cause, en particulier, sa présence dimanche dernier 19 avril dans une manifestation convoquée par ses partisans devant une caserne de Brasilia pour réclamer un coup d’État militaire contre le Parlement et le Tribunal suprême.
« Président, vous êtes en train de creuser votre tombe. Renoncez avant d’être destitué » écrit sur son compte twitter Fernando Henrique Cardoso, ancien président et père de la réforme monétaire du Réal pour juguler l’hyperinflation en 1994. « Épargnez à la société brésilienne, en plus de l’épidémie du coronavirus, un interminable processus d’impeachment. » L’association de la presse brésilienne a pris Fernando Henrique Cardoso au mot : elle demande au président de l’Assemblée Rodrigo Maia l’ouverture d’une procédure de destitution de Jair Bolsonaro.
Sergio Moro n’est pourtant pas qu’un héros justicier
Si ces dernières péripéties politiques mettent Jair Bolsonaro encore un peu plus dans l’embarras, le désormais ex-ministre de la Justice Sergio Moro n’est pas pour autant un justicier sans reproches. Il y a quelques mois, le même site The Intercept Brasil révélait qu’alors qu’il était juge dans les affaires de corruption Lava-Jato à Curitiba, Sergio Moro avait entretenu, via la messagerie cryptée Telegram, des conversations privées répétées avec les procureurs chargés de ces affaires. Notamment en ce qui concernait l’ancien président Lula, qu’il a finalement condamné à 9 ans de prison.
De tels contacts secrets avec les juges instructeurs sont juridiquement prohibés. En Suisse ou en France, leur existence impliquerait la destitution du juge du tribunal, fonction qu’exerçait alors Sergio Moro, mais au Brésil ces révélations ont à peine choqué. L’aura du pourfendeur de la corruption, reste aujourd’hui encore très éclatante dans la population. Sergio Moro l’a dit, il ne retournera pas à la magistrature. Il se met en réserve de la République. Sous-entendu peut-être, candidat contre Bolsonaro aux élections de 2022. Son prédécesseur à être débarqué, le ministre de la Santé Luiz-Henrique Mandetta a dit exactement la même chose lorsqu’il a dû abandonner ses quartiers à Brasilia…
Jean-Jacques FONTAINE