Mariella Villasante Cervello, docteure en anthropologie sociale (École des hautes études en sciences sociales, Paris) nous propose un panorama de l’actualité politique et sociale de son pays avec les résultats des élections législatives, la situation de l’épidémie et les préparatifs des élections présidentielles de l’an prochain.
Photo : Mariella Villasante
L’année 2019 marque une rupture importante de l’ordre politique du Pérou depuis 2000. En effet, malgré les agissements des partisans de l’ancien dictateur Alberto Fujimori et de sa fille Keiko (tous les deux en prison actuellement), les réformes politiques de l’actuel président Martín Vizcarra, ont pu se concrétiser. Mieux encore, après avoir été investi le 23 mars 2018 — suite à la démission de l’ex- président Pedro Pablo Kuczynski, accusé de corruption — et pour faire face aux manœuvres et à l’obstruction systématique des congressistes fujimoristes majoritaires, le président Vizcarra a décidé la dissolution du Congrès en septembre 2019, provoquant ainsi une large restructuration de la vie politique du pays et le déclin définitif des partisans du fujimorisme. Ces partisans, en large majorité pauvres, non éduqués et séduits par des discours populistes avaient, en 2016, failli porter à la présidence Keiko Fujimori, la fille de Fujimori.
Des problèmes de corruption à grande échelle, associés à l’affaire Lava Jato [activités de corruption des entreprises brésiliennes de travaux publics en Amérique latine], ont fini par toucher la grande majorité des dirigeants péruviens y compris Keiko Fujimori. Elle est retournée en prison le 28 janvier dernier, après avoir été incarcérée treize mois, puis libérée par un jugement irrégulier du Tribunal constitutionnel. Le procureur Rafael Vela a demandé au juge Víctor Zúñiga quinze mois de prison préventive. Les électeurs de Keiko Fujimori ont apporté leurs voix à des groupes marginaux, disposant d’une forte présence en milieu rural, et porteurs d’idées autoritaires et/ou ultra religieuses.
Les élections législatives extraordinaires de janvier 2020
L’ONP (Oficina nacional de procesos electorales) a publié les données suivantes : sur un total de 28 804 140 électeurs, on a dénombré 17 741 356 votes réparties en : 14 798 379 (80 %) votes valides, 2 988 420 votes nuls (16 %) et 414 724 votes blancs (2,3 %). Sur un total de 14 798 379 votes, 25 % d’électeurs n’a pas voté 19 % a voté nul ou blanc, et près de 40 % a voté pour des partis qui n’avaient aucune chance d’obtenir 5 % des voix pour siéger au Congrès. Au total, les 130 congressistes ont été élus par 40 % de l’électorat du pays. Le taux le plus faible de toute l’histoire républicaine.
Selon la Loi électorale, seuls les partis qui obtiennent plus de 5 % des voix peuvent avoir des sièges au Congrès. Neuf partis sur 17 ont dépassé ce pourcentage. Les quatre partis de droite (Acción popular [25 sièges]) et du centre (Alianza para el progreso [22 sièges], Somos Perú [11 sièges] et Partido morado [9 sièges]) sont majoritaires. Ils pourraient constituer un groupe majoritaire avec 67 sièges au Congrès. Quatre partis se classent dans les extrêmes de la droite populiste/autoritaire (Podemos [11 sièges], Unión por el Perú [13 sièges], Fuerza popular [15 sièges], et le parti ultra religieux Frente popular agrícola del Perú [FREPAP, 15 sièges]). Au total ils ont obtenu 54 sièges au Congrès, mais il serait étonnant qu’ils puissent s’allier pour former un groupe du Congrès. Le courant de gauche modérée est représenté par Frente amplio, avec 9 sièges, et reste très isolé.
Les résultats des élections extraordinaires de janvier dernier montrent trois faits majeurs : l’émergence d’une majorité conservatrice (Acción popular, Somos Perú, Partido morado) l’arrivée au Congrès de nouveaux groupes populistes autoritaires (Unión por el Perú, Podemos) et d’un groupe fondamentaliste (FREPAP) et la mise à l’écart des courants de gauche qui se sont présentés divisés en trois partis, dont un seul (Frente amplio) a pu obtenir des sièges.
En outre, en janvier 2020, les subversifs restants du Sentier Lumineux, nommé Militarizado partido comunista del Perú (MPCP), dirigé par Victor Quispe Palomino (Camarade José), ont fait campagne contre les élections dans la zone où ils ont trouvé refuge, la Vallée des fleuves Apurímac, Ene et Mantaro (en castillan Valle de los ríos Apurímac, Ene et Mantaro, Vraem). Depuis la capture du dirigeant Hugo Sixto Campos Córdova, alias « Julio Chapo », en juillet 2019, les subversifs s’étaient repliés dans les zones d’accès difficile de la région du Vraem. Cela a favorisé le travail de la police et des forces armées, qui travaillent à l’éradication des cultures de coca dans les districts de Mazamari et Pangoa (Satipo). En décembre 2019, le gouvernement a annoncé la destruction de plus de 25 000 hectares de plantations de coca dans les deux principales zones de production, la Vraem et la vallée du Haut-Huallaga. Au reste, compte tenu de l’augmentation de la consommation de cocaïne au Brésil, en Argentine et au Chili, les nouvelles zones de production concernent les frontières entre le Pérou, la Colombie et le Brésil, ainsi que le Madre de Dios et la forêt tropicale de Puno, proche de la Bolivie (RFI du 14 décembre 2019).
Les prochaines élections générales sont prévues le 11 avril 2021 pour élire le président, deux vice-présidents, 130 congressistes et 5 parlementaires andins pour la période 2021-2026. Les nouveaux élus prendront leurs fonctions le 27 et le 28 juillet 2021. Jusqu’à présent, une vingtaine d’hommes et de femmes ont exprimé leur volonté d’être candidats à la présidence, mais aucun ne paraît avoir la stature requise pour cette fonction. Selon un sondage récent, l’ex-Premier ministre Salvador del Solar rassemble 16 % des intentions de vote, suivi par George Forsyth, maire du quartier La Victoria de Lima, avec 9 %, et enfin Julio Guzmán, chef du Partido morado, 7 % (Datum, Perú21 du 21 janvier) (Villasante 2020[1]).
La crise du coronavirus Covid-19 au Pérou
Le président Martín Vizcarra a pris des mesures drastiques de prévention contre la propagation du nouveau coronavirus, Covid-19, qui est actuellement dans sa phase initiale d’expansion en Amérique latine. Le 15 mars, le président a déclaré l’état d’urgence dans le pays, la fermeture des frontières, le confinement de tous les habitants du pays et l’interdiction de rassemblements pendant quinze jours. Il faut noter que depuis la fin février plusieurs régions (Ayacucho, Cusco, Puno) se trouvaient déjà en état d’urgence pendant soixante jours pour les désastres causés par les pluies et les inondations. En outre, une importante épidémie de dengue est en cours au Pérou et dans d’autres pays sud-américains, dont le Paraguay. Enfin, le 18 mars, le président a instauré le couvre-feu entre 20 heures et 5 heures du matin et l’armée et la police sont dans les rues pour sanctionner les infractions. Comme en France, la circulation des personnes est permise seulement pour se rendre au travail, chez le médecin ou à l’hôpital, pour acheter des aliments, des médicaments et de l’essence.
Le 5 avril on recensait 73 morts, 1 746 cas positifs, 914 personnes sont guéries et 88 personnes se trouvaient en soins intensifs. Les régions les plus infectées sont : la ville de Lima, et les départements du nord Piura, Lambayeque et La Libertad. Il s’agit des régions où les populations se montrent les plus réticentes à suivre les consignes de distanciation sociale.
Réflexions finales
En ce début d’année, la débâcle du fujimorisme, fondé sur un populisme d’extrême droite et dont les chefs de file ont participé à de vastes réseaux de corruption et d’actions violentes et anti démocratiques, ne peut être que bénéfique pour entamer des réformes politiques urgentes de l’État et des institutions nationales. Suite à l’arrêt des activités politiques avec l’état d’urgence, il faudra attendre quelques mois pour observer la recomposition des groupes politiques au sein du Congrès. Dans tous les cas, rappelons qu’il s’agit d’un congrès éphémère qui sera entièrement renouvelé en avril 2021.
La conjoncture actuelle au Pérou est marquée, comme dans le reste du monde, par la pandémie du Covid-19, dont la propagation pourrait avoir de graves conséquences sanitaires pour des populations majoritairement pauvres qui ne disposent pas d’une véritable protection étatique. Le président Vizcarra et son équipe de crise développent une stratégie cohérente et solidaire, et ils ont vu leur taux de popularité augmenter ces derniers jours. Cela étant, ici comme ailleurs, la pandémie est un révélateur de la situation de l’État et de la société. Dans ces conditions, si à moyen et à long terme le coronavirus peut accélérer l’installation de l’État péruvien dans les régions où il reste faible, dans le court terme il ne pourra pas apporter son soutien au-delà d’un certain seuil de personnes contaminées car les infrastructures hospitalières, les ressources médicales et les médicaments font cruellement défaut dans le pays. La situation est similaire dans tous les pays en voie de développement qui sont les cibles les plus vulnérables de cette crise inédite des sociétés postmodernes.
Mariella VILLASANTE CERVELLO
[1] Villasante 2020, Chronique politique du Pérou 2019, Réformes politiques du président Vizcarra, lutte anti corruption, nouveau Congrès et chute définitive du fujimorisme, academia.edu [17 février 2020]