La semaine passée, cinquante-deux médecins cubains sont arrivés en Lombardie, la région italienne la plus touchée en termes de décès par la pandémie du Covid-19. Ces derniers jours, le gouvernement cubain a aussi envoyé du personnel médical en Jamaïque, au Surinam, au Nicaragua et propose au gouvernement argentin de lui envoyer cinq cents médecins et urgentistes pour sa lutte contre la pandémie. Ce déploiement nous rappelle que, dès l’origine, la coopération médicale a été un outil diplomatique et économique du régime.
Photo : Radio Rebelde
Beaucoup ont vu les images venues d’Italie où des blouses blanches cubaines, drapeaux cubain et italien en main, débarquaient en brigade disciplinée dans un aéroport lombard. C’était le 21 mars 2020. Ces Brigades médicales internationales sont actives depuis les débuts de la révolution cubaine et, aujourd’hui, sont présentes dans des dizaines de pays en développement ou émergents, en Amérique latine, en Afrique et en Asie. Pour beaucoup, leur présence en Europe est une surprise, peut-être une première. De son côté, l’île a fermé ses frontières et s’est confinée depuis le 24 mars, date à laquelle des dizaines de cas étaient comptabilisés. Les touristes étrangers encore présents sur l’île ont été mis en quarantaine.
On le sait, la santé et les formations médicales font partie des priorités de Cuba et le régime affiche la santé publique comme une réussite de sa politique socialiste. Selon le ministère cubain de la Santé, Cuba, pour 11,1 millions d’habitants, disposerait de 76 836 médecins, 14 964 dentistes et 88 364 infirmières, soit des taux de respectivement 6,9, 1,3 et 7,9 par millier d’habitants (Le Quotidien du médecin, 25/03/2014). La Brigade médicale internationale a envoyé 25 000 médecins en Amérique latine, principalement au Venezuela et au Brésil, mais aussi à Haïti, pour combattre le choléra après le dernier tremblement de terre.
Son expérience s’est renforcée en Afrique dans le combat contre l’épidémie Ebola, en 2014, avec une aide apportée à 37 pays. Au total, le chiffre de 50 000 professionnels de santé cubains en mission à l’étranger est avancé. Premier bénéficiaire de cette coopération : le Venezuela, qui accueille 20 070 professionnels de santé cubains, dont 5 322 médecins, qui exercent dans le cadre des programmes impulsés par le président Hugo Chávez en 2003 (RT France, 26 mars 2020). En échange, le Venezuela faisait profiter l’île de ses ressources en pétrole.
Cette stratégie diplomatique et économique a été affectée par le virage à droite de nombreux pays en Amérique latine et les chiffres sont sujets à révision. En effet, des dizaines de milliers de médecins ont été obligés de rentrer sur l’île, soit expulsés par les nouveaux dirigeants des pays où ils coopéreraient (Bolivie, Brésil, Équateur), soit en raison des crises, comme au Venezuela où la production de pétrole s’est effondrée. La Havane et Caracas avaient un accord de partenariat « santé contre pétrole » qui est devenu bancal. La « solidarité » a un prix que le Venezuela ne peut plus acquitter, et Cuba a un grand besoin de devises étrangères découlant de son exportation de services médicaux. Ses revenus résultant du déploiement médical extérieur sont vitaux et monteraient à environ 10 milliards de dollars par an, bien supérieurs à ceux du tourisme étranger et des remesas (envoi d’argent des Cubains de l’étranger).
Sanctions américaines
Le durcissement des sanctions américaines contre Cuba décidé par Donald Trump étrangle financièrement l’île. L’attitude américaine entraîne ou force d’autres pays à suivre la politique de Washington. Pour l’instant, l’Argentine et le Mexique n’ont pas suivi. Axel Kicillof, le gouverneur de Buenos Aires, a exprimé ces derniers jours son intérêt pour accueillir urgentistes et thérapeutes cubains afin de combattre l’épidémie du Covid-19. En mettant en scène son envoi de médecins en Lombardie, Cuba poursuit sa recherche de solutions financières et empoche des gains diplomatiques en Europe où elle compte sur l’appui de l’Espagne, de la France et dorénavant de l’Italie pour contrebalancer la politique américaine d’asphyxie économique. La Guyane française, éloignée de la métropole en situation de stress épidémique, bénéficie déjà de l’aide en personnel soignant de la part de l’île de la Caraïbe.
Médecins cubains, soldats ou esclaves ?
Prisoners Defenders, une association de défense de la démocratie basée à Madrid, a fait ces dernières semaines une conférence de presse où elle dénonce les atteintes aux droits humains qui entachent les missions médicales internationales de Cuba. Elle documente ses accusations en vue d’une dénonciation auprès de la Cour pénale internationale et des Nations Unies. Les déplacements de masse de médecins à l’extérieur se font dans des conditions telles que l’association parle d’esclavage : les familles des médecins en mission ne sont pas autorisées à sortir du pays, les passeports de médecins et leurs diplômes leur sont retirés, leur salaire est en grande partie confisqué. S’ils abandonnent la mission, les médecins sont interdits de retour à Cuba pendant huit ans et perdent leur identité.
À leur retour à Cuba, les médecins, dont la mission dure en général trois ans, sont considérés comme détenteurs d’informations secrètes et mis sous tutelle. Il n’empêche : les missions internationales de véritables experts de médecine d’urgence en situation d’épidémie se poursuivent et se redéfinissent constamment sur le terrain économique et diplomatique avec des droits fondamentaux mis en quarantaine.
Maurice NAHORY