San Salvador, 9 février 2020. A 13 heures 47, le Parlement a été brutalement occupé par les forces de l’ordre, par la PNC, la Police nationale civile et les Forces armées. La présence dans l’hémicycle de soldats, mitraillettes en bandoulière, face à des députés assis, a sidéré.
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Sidérés les Salvadoriens, qui ont connu des années d’affrontements fratricides il n’y a pas si longtemps. Sidérés aussi tous ceux qui dans le monde avaient accompagné le processus en permettant la signature de la paix, en 1992. La sidération a été d’autant plus forte que le personnel du Parlement, le bureau de l’Assemblée législative, ont été contraints, manu militari, d’ouvrir le bâtiment. « Ouvrez, sinon nous allons enfoncer les portes », leur a déclaré Mauricio Arriaza Chicas, Directeur de la PNC. « Le président va faire son entrée » dans l’hémicycle, le « Salón Azul ». Nayib Bukele, entré au son de la Marche présidentielle, installé sur le siège du président de l’Assemblée, a adressé aux députés élus un ultimatum, celui de voter dans les huit jours un projet de loi concernant l’insécurité. « S’ils ne l’approuvent pas (ce que je leur demande) » a-t-il dit en sortant de l’Assemblée, « je vais me présenter avec vous (le peuple), au nom de l’article 87 de la Constitution .» Cet article légitime l’insurrection populaire en cas de grave violation de l’ordre constitutionnel.
Le coup de force militarisé, spectaculaire et antiparlementaire du Président a ses raisons. Il les a exposées dans diverses déclarations le lendemain de cet acte de forfaiture démocratique[1]. 2000 Salvadoriens meurent sous les balles de délinquants chaque année. L’Exécutif se doit de réagir. « J’ai donc décidé de solliciter un prêt bancaire international de 109 millions de dollars pour doter en équipements police et armée. Le parlement doit le comprendre. Il doit voter en urgence le projet de loi autorisant le Salvador à solliciter un crédit international. »
Le Parlement, afin d’éviter toute évasion des crédits obtenus, a demandé des explications complémentaires, et refusé un examen en urgence. Sa méfiance est d’autant plus forte que les députés, de droite comme de gauche, sont membres de formations sans aucun lien avec le président élu en 2019. Les deux pôles de la démocratie salvadorienne étaient en conflit depuis le début de la mandature de Nayib Bukele.
Le conflit a brutalement rebondi le 9 février 2020. Sans attendre la prochaine échéance électorale, les législatives de février 2021, le Chef de l’État a décidé de renverser la table. Et de faire arbitrer son différend avec le Congrès, non pas par le pouvoir judiciaire, mais par la police et l’armée, en invoquant Dieu et le droit d’insurrection du peuple.
L’événement est loin d’être anodin. Même si beaucoup, comme le nonce apostolique, sans doute pour faciliter une sortie de crise vers le haut, ont fait mine de considérer qu’il s’agissait d’une « erreur de jeunesse » du Président. Le Salvador a fait l’objet d’une attention particulière, diplomatique et matérielle, des Nations unies, et de la société internationale au tournant des années 1990, afin de l’aider à sortir de la guerre intérieure et à reconstruire une convivialité démocratique.
Depuis, le pays a connu plusieurs alternances pacifiques entre la droite extrême (ARENA) et l’ancienne guérilla du FMLN, convertie en parti politique. Le développement n’avait malheureusement pas suivi la même évolution, générant une insécurité qui, par habitant, est l’une des plus élevées au monde, et des flux de migrants qui tentent, via le Mexique, d’entrer aux États-Unis.
La voie de l’ordre privilégiée par le Président, pour résoudre les problèmes du pays, est-elle à la hauteur des enjeux ? La méthode en tous les cas est démocratiquement condamnable. Et le recours au peuple pris à témoin pour légitimer le coup militarisé face à des élus présentés comme des « canailles, empêcheurs de tourner en rond » est inconstitutionnelle.
Cet incident politique mérite une attention d’autant plus grande qu’il n’est pas isolé. Les autorités élues du Brésil et du Venezuela ont associé les forces armées au gouvernement et à la gestion du pays. L’alternance en Bolivie a été forcée par « un conseil » pressant donné à Evo Morales par le chef d’État-major de son armée. Le Chili a fait donner la troupe et la police pour répondre avec une grande violence aux revendications sociales. Les présidents de L’Équateur et du Pérou qui ont eux aussi affrontés de graves troubles sont apparus à la télévision entourés de leurs généraux.
De la Bolivie au Venezuela, en passant par le Salvador, les forces armées sont en quelques mois devenues les arbitres politiques de systèmes contestés, garantissant diverses formes de statu quo. Ce quatrième pouvoir, illégitime, démocratiquement et constitutionnellement parlant, a marqué des points supplémentaires le 9 février 2020 au Salvador.
Jean-Jacques KOURLIANDSKY
[1] En particulier dans « El Pais », Madrid, le 11 février 2020