La présidente de Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) Esmeralda Arosemena a affirmé que le Chili vit une grave crise en matière des droits de l’homme. Cette observation arrive alors que le monde entier a les yeux rivés sur le soulèvement populaire du Chili initié le 18 octobre dernier. Celui-ci ne s’essouffle pas, en dépit de la répression qui s’abat contre les manifestants. La CIDH vient de rendre le vendredi 31 janvier son rapport préliminaire sur la situation des droits humains au Chili.
Photo: CIDH
À la suite du travail d’observation et d’enquête, au cours duquel la délégation a rencontré des nombreuses organisations de la société civile et des institutions d’Etat depuis le mois de novembre 2019, cette commission dénonce un « usage excessif de la force » depuis le début des manifestations chiliennes qui ont coûté la vie à 26 personnes. Selon le ministère de la Santé et le collège des médecins, les services d’urgence ont reçu 13 046 personnes blessées entre le 18 octobre et le 18 décembre ; en ce qui le concerne, le INDH (Institut national des droits humains du Chili) dénombre au 15 janvier 3 649 blessés dans les hôpitaux dont 1624 pour les tirs de chevrotines des carabiniers. D’après cet institut, le chiffre des personnes souffrant des traumatismes oculaires s’élève à 405 – certains cas s’accompagnant d’une perte totale de la vision.
Les membres de la délégation se sont rendus dans les principales villes du pays : Santiago, Arica, Temuco, Ercilla, Concepción, Antofagasta et Valparaíso. La CIDH a également rendu visite aux quartiers populaires où la violence a été forte, Lo Hermida, Pudahuel Sur, dans les centres de détention Preventiva Santiago 1, dans la Commissariat de Carabiniers 3a, le Centre pénitentiaire de Temuco et le SENAME (pour les mineurs), dans la Résidence Familiale San Miguel et CREAD Pudahuel. Tout au long de son séjour, la CIDH a rencontré plus de 900 personnes, victimes et familles.
La CIDH dans son rapport comptant des nombreuses pages a attiré particulièrement l’attention des autorités chiliennes sur les atteintes aux femmes : obligation de se dénuder dans les commissariats, vexations, menaces de viol contre des femmes et adolescentes et même sur des femmes enceintes et, des cas de viols avérés. La commission signale que la plupart du temps ces fait ne sont pas dénoncés par crainte de représailles et par méfiance à l’égard des autorités. La CIDH a reçu également des plaintes concernant des actes de violence de la part du personnel des forces de l’ordre sur la communauté LGBTI.
Par ailleurs, la CIDH a suivi avec un intérêt particulier la situation dont souffrent les peuples indigènes du Chili. Leurs revendications reçoivent souvent une réponse de l’Etat criminalisant leurs actions et parfois avec l’application de la loi antiterroriste héritée de la dictature de Pinochet. La commission a enregistré des dénonciations de discrimination contre les migrants, des arrestations et expulsions de personnes soupçonnées de participer dans les manifestations de rue ou dans des actes de pillage.
La Commission a déclaré cependant que le Chili est bien un Etat de droit avec des institutions démocratiques et a remercie les autorités d’avoir permis et facilité leur observation. Cet organisme, un des plus anciens du continent américain, dit avoir vu au Chili « une société civile vibrante et consciente de ses droits, solidaire et mobilisée ». Sur ce point elle reconnaît la légitimité des demandes historiques du peuple chilien : la fin des inégalités, l’accès à l’éducation, à la santé, à la sécurité sociale, à l’eau (le Chili est un des rares pays où l’eau est en mains des groupes économiques privés nationaux ou internationaux). Elle signale que l’Etat chilien a une dette historique avec le passé dictatorial et l’impunité et elle insiste sur le fait qu’il persistent au Chili des normes juridiques qui sont encore un obstacle pour la sanction des crimes perpétrés pendant la dictature.
Parmi les principales recommandations de la CIDH on trouve celle de prendre les mesures nécessaires pour l’arrêt immédiat de l’usage disproportionné de la force de la part des carabiniers et faire en sorte que l’agir des forces de l’ordre soit en conformité avec les protocoles internationaux du respect des droits de l’homme dans les circonstances de mobilisation sociale.
Une autre recommandation est de mettre en place une réforme institutionnelle et intégrale des forces de l’ordre, des Carabiniers, pour que cette institution agisse sur les principes de sécurité des citoyens avant tout et dans le respect des droits humains. Pour cela, il s’agira de mettre en place un organe de contrôle externe donnant la garantie d’indépendance et ayant des compétences correctives réelles.
L’Etat doit promouvoir et organiser des programmes de réparation à l’égard des victimes, notamment dans les cas de torture, de violence sexuelle et des lésions oculaires provoqués par des agents de l’Etat.
Avant la lecture du rapport, Esmeralda Arosemena, présidente de la CIDH de l’OEA, a demandé à la salle bondée de journalistes, de respecter une minute de silence en hommage aux victimes des répressions policières et a manifesté avec émotion son admiration face à « une jeunesse que se fait le portevoix par sa lutte et qui laisse espérer une société meilleure et plus juste ».
Olga BARRY
Depuis Santiago du Chili