Noir, c’est noir ! Le nom de la série de Gallimard, la couverture du livre, ce qui y est raconté. Le Mexique est devenu un immense cimetière, le désert, parcouru par un camion à la cargaison mystérieuse, est couvert de canettes de bière et de cadavres d’animaux (et parfois pire), et reste indifférent aux souffrances humaines. Et les humains ne sont pas reluisants. Seuls des cercueils lumineux qu’on voit fugacement passer sur une remorque de camion sont blancs, scintillants.
Photo : Ed. Gallimard
Gros et Vieux se relaient pour conduire leur semi-remorque frigorifique sans jamais pouvoir s’arrêter sauf pour remplir le réservoir d’essence. Ils parcourent des centaines de kilomètres à travers les déserts du nord du Mexique, obéissant aux ordres du Commandant, lui-même sous les ordres du Gouverneur, personnages que nous ne verrons jamais.
On découvrira assez vite ce que contient le camion (pire que la nitroglycérine du Salaire de la peur, dit un des deux chauffeurs), et pourquoi le Gouverneur (d’un État mexicain) insiste autant pour que les deux hommes n’arrêtent jamais leur course, pourquoi il est si menaçant. Sa réélection est en jeu et sa situation très compromise par les violences qu’il n’a pas su maîtriser. Il faut dire que son poste est la source de très juteux revenus et qu’il ne souhaite pas le perdre, c’est humain. De plus il n’est pas seul, autour de lui beaucoup d’« hommes d’affaires » n’hésiteraient pas à lui faire la peau en cas de défection car leur prospérité dépend de lui.
C’est cet engrenage infernal que dénonce Sébastien Rutés dans ce thriller nerveux, filtré par les pensées ou les rêves torturés de Gros et de Vieux qui commentent ce qui se passe devant leurs yeux, leur situation actuelle, des bribes de leur passé, et leur avenir très indécis alors qu’ils sont indissociables, uniques responsables du devenir du camion et de son chargement.
On ne sort que rarement du huis clos étouffant dans la chaleur insupportable du désert, même les rêves sont peuplés de cadavres, même les ombres des bâtiments lépreux ressemblent à des mourants. Reste-t-il une place pour un espoir ?
Sébastien Rutés réussit un roman terrible, hélas réaliste, il s’est inspiré d’un fait divers de 2018. Bonne route vers Mictlán, le « lieu des morts » ! Bonne route au cœur de la noirceur !
Christian ROINAT
Mictlán de Sébastien Rutés, éd. Gallimard (coll. La Noire), 159 p, 17€.