À l’aube d’une campagne électorale marquée par des réformes inédites visant à démanteler l’ancien système de corruption organisé, Martín Vizcarra poursuit son héroïque croisade contre les vrais responsables de la crise.
Photo : perureports.com
Après cinq présidents impliqués dans des affaires de corruption et d’autres cas qui englobent le pouvoir judiciaire et les partis politiques, on pourrait croire que le but que Martín Vizcarra s’est fixé relève de l’utopie. Grattez un peu et dans chaque politicien vous trouverez la corruption, selon le dire des péruviens. Mais le remède à la maladie profonde qui ronge la classe politique depuis des décennies ne peut venir, selon le chef de l’État, que d’un nettoyage généralisé des institutions afin de garantir à tous leurs droits dans une démocratie responsable.
L’idée formulée, et mise en place par l’actuel président est une véritable réforme politique et sociale dans le plus strict sens du terme : « Corriger, ramener à la vertu, rétablir une règle, une discipline, un système qui s’est corrompu ». Et pour preuve, l’entreprise brésilienne Odebrecht a reconnu avoir distribué, entre 2005 et 2014, un total de 788 millions de dollars dans une dizaine de pays latino-américains pour remporter des contrats (dont 29 millions de pots-de-vin aux dirigeants péruviens).
C’est donc sous ce mot d’ordre –ré-former– que la nouvelle phase du programme officiel a démarrée avec le coup d’envoi du marathon électoral de 2020. Il s’agit, en effet, d’une très longue course qui durera pratiquement toute l’année. Après une première confrontation, qui a eu lieu la semaine dernière, les candidats aux législatives du 26 janvier auront l’occasion d’exposer encore deux fois leurs programmes, le jeudi 16 janvier et le dimanche 19, lors de débats publics diffusés par TV Perú et les réseaux sociaux.
Conséquence de la politique d’assainissement menée par l’actuel président, le renforcement du système judiciaire et la lutte contre la corruption figurent parmi les axes thématiques de ces rencontres organisées par le Jury National des Élections (JNE). Selon les sondages, sept partis pourraient dépasser le seuil de 5% des voix, parmi lesquelles AcciónPopular (AP), Fuerza Popular (FP), Alianza para el Progreso (APP), Partido Morado (PM), Somos Perú (SP) et le Frente Amplio (FA). Or, pour réussir une représentation parlementaire, la loi n° 28617 fixe ce seuil de 5% à l’échelle national ou bien l’obtention de sept sièges en plus d’une circonscription électorale.
Rappelons que M. Vizcarra avait proposé d’anticiper les élections parlementaires et présidentielles d’un an, soit en avril 2020 au lieu de 2021. Par conséquent, le mandat actuel des députés, ainsi que son propre mandat, prendra fin le 28 juillet prochain. C’est lui-même qui l’a annoncé, dans son message à la nation, le 28 juillet 2019, à l’occasion du 198eanniversaire de l’indépendance du Pérou. En outre, il a précisé, et à plusieurs reprises, qu’il ne serait pas candidat à la prochaine élection présidentielle.
Or, quelles sont les possibilités de réussite du plan Vizcarra en matière économique ? Selon les estimations de l’ex-ministre Jorge Gonzalez Izquierdo, si le président réussit à stabiliser la situation politique, afin de relancer les investissements, le PIB pourrait atteindre plus de 4% de croissance pour cette année. Toutefois, la situation est particulièrement délicate à cause des réformes structurelles engagées par l’actuel gouvernement. Et l’économiste renommé tire la sonnette d’alarme : « l’instabilité politico-institutionnelle est un obstacle majeur surtout pour les investisseurs privés, mais aussi pour l’augmentation de la consommation et la productivité des entreprises. Ce sont là des variables très importantes pour la bonne santé de l’économie. »
Dans cette perspective, le coût des réformes risque de peser lourdement en particulier en ce qui concerne la Sécurité Sociale. Mais sur ce point Martín Vizcarra s’est montré rassurant en annonçant que « 2020 sera l’année de l’universalité sanitaire ». Il a également affirmé, lors d’une visite à Cuzco pour l’habilitation d’un hôpital situé dans le village de Machu Picchu, que son gouvernement prévoit une aide aux quatre millions de péruviens qui n’ont pas accès à une assurance ou à un service de santé.
Pendant ce temps, une information venue du parti de l’opposition est susceptible de faire basculer les urnes en faveur de l’actuel projet présidentiel : Keiko Fujimori, la cheffe de Fuerza Popular (droite populiste) a annoncé son retrait de la vie politique. La fille de l’ex-président Alberto Fujimori était en tête des sondages avant le scandale Odebrecht. « Je vais suspendre mes activités parce que ma priorité est et sera toujours ma famille, et nous allons faire face à ce processus avec toute la famille », et elle se dit « inquiète pour (ses) deux filles ». Selon la justice, Keiko (« fille bénie » en japonais) aurait financé une partie de la campagne présidentielle de 2011 avec de l’argent versé par le géant brésilien du bâtiment. Elle avait été arrêtée en octobre 2018 à la demande du parquet péruvien, accusée d’avoir organisé « un stratagème pour commettre un crime » et d’avoir « blanchi » de l’argent illicite. En décembre dernier, après treize mois de détention provisoire, la Cour constitutionnelle péruvienne a ordonné sa remise en liberté mais elle fait toujours l’objet d’une enquête judiciaire.
L’absence de Keiko Fujimori dans l’arène électorale a suscité beaucoup d’interrogations. Mais pour Martha Chavez cette décision est largement justifiée. Selon la candidate qui mène actuellement la liste de Fuerza Popular au Congrès, Keiko n’a pas eu le temps de préparer sa campagne, c’est pour cette raison qu’elle a décidé de faire « une pause car elle vient d’être libérée après avoir été en prison injustement pendant un an et sans une accusation formelle. »
Par ailleurs, Martha Chavez est persuadée que le Fujimorisme « a une identité propre et que tous les candidats sont conscients que le Pérou joue son avenir dans cette courte période d’élections. » Ce qui permet d’affirmer que 2020 marquera sans doute une date charnière dans l’histoire du pays andin. C’est une actualité qui mérite d’être suivie de près, car l’enjeu est considérable et le défi sans précèdent. Pour l’instant, la grande question reste ouverte sur le projet en apparence utopique de Martín Vizcarra. Réussira-t-il à poser des bases solides pour que l’objet de ses réformes ne reste pas un pays imaginaire où un gouvernement idéal règne sur un peuple heureux ?
Eduardo UGOLINI