Depuis près de trois mois, plusieurs centaines de milliers d’équatoriens sont descendus dans la rue pour protester contre la politique de rigueur du gouvernement, synonyme de nouveaux sacrifices en perspective. La majorité de la population considère que le FMI est le principal responsable de la dégradation sociale et économique.
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Le bras de fer entre le gouvernement de Lenín Moreno et les manifestants dans tout le pays avait commencé au début du mois d’octobre, après l’annonce de la suppression des subventions aux carburants. Douze jours de violentes manifestations, avec un bilan déduit morts et plus de1 « àà blessé, ont forcé le président à revenir sur sa décision. Mais il se trouve désormais dans une situation d’extrême fragilité face aux exigences imposées par le FMI (Fonds monétaire international), même si ce dernier a finalement accepté l’abrogation de la hausse du prix des carburants.
L’explosion sociale généralisée était la réponse à l’application de cette mesure, car le prix à la pompe avait augmenté du jour au lendemain jusqu’à 123 % et les tarifs des transports publics jusqu’à 40 %. Certes, M. Moreno finit par céder sous la pression de la rue, mais beaucoup estiment que c’était trop tard. Ce sentiment a été renforcé par la cure d’austérité sévère infligée au pays par le discrédité fonds monétaire, considéré comme le grand gendarme de l’économie américaine qui plane sur les pays du Cône-sud depuis des décennies.
En effet, les Équatoriens peuvent difficilement accepter « l’aide » d’un FMI très mal perçu dans les pays sud-américains. D’autant que l’opinion publique est convaincue que cet organisme international est un instrument de l’impérialisme étasunien : « Fonds de la Misère Interaméricaine » selon le dicton populaire, responsable des crises qui frappent la région depuis l’hécatombe économique et sociale qui a secouée l’Argentine en 2001. Et aujourd’hui, ceux qui manifestent ont le sentiment que c’est le même scénario qui se reproduit.
Ainsi, le plan d’ajustement draconien proposé par le FMI en échange des 4,2 milliards de dollars d’aide pour les trois années à venir, stipulait la suppression des subventions des carburants, qui coûtent à l’État 1,3 milliard de dollars par an. À cela s’ajoutent des réformes structurelles parmi lesquelles figurent la réduction des vacances des fonctionnaires de trente à quinze jours par an – afin d’augmenter la productivité – et la « donation » à l’État d’un jour de salaire par mois de la part des employés des entreprises publiques.
Dans un tel contexte, selon Marie-Esther Lacuisse, M. Moreno n’a pas tenu ses promesses sociales et aujourd’hui il en paye le prix. La chercheuse au Centre de documentation des Amériques (Creda), à l’Institut des hautes études sur l’Amérique latine, en explique les raisons : « Lenín Moreno a été élu en 2017 pour relancer la révolution citoyenne, le programme politique social et écologique porté par son prédécesseur Rafael Correa. Ce dernier avait suscité un fort mécontentement de la population, en raison de sa politique très pro-industrie et pas assez écologique et sociale, mais aussi en raison de ses tentations autoritaires, tel son coup de force pour inscrire dans la Constitution la réélection sans limites des autorités publiques. » Mentionnons au passage que Rafael Correa a été contraint de s’exiler en Belgique, soupçonné d’abus de biens sociaux et de corruption.
C’est donc tout naturellement que Lenín Moreno incarnait le rôle de « Sauveur de la révolution citoyenne » lors des élections présidentielles de 2017. Mais une fois à la tête du pays il a inversé son discours, amorçant un tournant néolibéral, avec des politiques d’austérité. « Le président a ainsi choisi de rétablir des liens avec le FMI. Le pays a une dette publique importante, liée entre autres à des investissements dans les infrastructures – l’aménagement du territoire constituait un des volets de la révolution citoyenne », explique Marie-Esther Lacuisse, et elle ajoute : « Pour faire face à cette dette, Lenín Moreno a demandé un prêt au FMI. Sauf que ce dernier pose toujours des conditions : il est le levier pour imposer des réformes politiques. Au début des années 2000 par exemple, le FMI avait fait pression pour l’abandon de la monnaie nationale et la dollarisation de l’économie. » Voilà pourquoi le FMI est considéré comme un instrument de l’impérialisme étasunien dans tous les pays sud-américains.
Sur ce point, il n’est pas inutile de rappeler que cet organisme fut créé en 1944 à la suite de la conférence de Bretton-Woods (États-Unis). À l’origine, il fut conçu comme un « instrument de solidarité internationale monétaire », comprenant un Conseil des gouverneurs nommés par chacun des États membres (environ 140 dont la Chine populaire). Les droits de vote sont proportionnels aux quotas, et les États-Unis disposent d’un droit de veto. Mais les politiques d’ajustement structurel que le FMI fait appliquer dans les pays en développement, notamment en Amérique latine, le présentent en effet comme « un gendarme gardien de l’orthodoxie libérale.* »
Cela explique en grande partie la virulente réaction du peuple équatorien et le FMI semble ne pas avoir pris la mesure des ravages sociaux qu’ont entraîné l’application de son programme, négligeant la mise en place de filets de sécurité sociaux pour amortir le choc des politiques d’assainissement imposées en contrepartie de son aide financière. Et cela malgré le souhait de son directeur général sortant, Michel Camdessus, qui en 1999 déclarait : « Nous voulons placer le combat contre la pauvreté au cœur de nos stratégies. »
A présent, l’Équateur est englué dans une récession depuis trois mois, malgré le fait que l’accord avec le FMI est censé remettre le pays sur les rails. Quelle issue à ce conflit ? Comment le gouvernement peut-il atténuer les tensions sociales et garantir en même temps la stabilité politique et économique ? Or, s’il jouissait d’une certaine popularité au moment de son élection, en 2017, l’espoir d’une relance de l’économie s’est étiolé au rythme des manifestations et des mesures d’austérité budgétaires. D’après les sacrifices demandés, la présidence de M. Moreno pourra-t-elle supporter le coût social d’un nouvel ajustement ?
Eduardo UGOLINI
* Le dictionnaire historique et géopolitique du 20è siècle, éd. La Découverte (2002).