Mardi passé, Alberto Fernández devenait officiellement le nouveau président de la République d’Argentine. Une journée émouvante pour la gauche latino-américaine qui voit en lui le début d’une reconquête idéologique du continent.
Photo : Pagina 12
C’est sur les coups de midi qu’Alberto Fernández fait son entrée sur la place du Congrès à Buenos Aires, au volant de sa voiture personnelle, dans une simplicité symboliquement étudiée. Face à une assemblée pleine à craquer, le nouveau président s’exprimera pendant plus d’une heure sur les grandes lignes directrices de son programme. Néanmoins, l’image peut-être la plus commentée fut la longue étreinte lors du passage de témoin entre Mauricio Macri et Alberto Fernández. Cette image n’est pas seulement le symbole d’une transition démocratique sereine mais montre également la volonté d’Alberto Fernández d’enterrer la hache de guerre entre les deux camps historiques pour devenir le président du rassemblement, derrière lequel peuvent se retrouver tous les Argentins. « Personne n’est en trop dans notre pays », finira un peu plus tard d’imprimer le message d’union.
C’est d’ailleurs dans ce sens que le nouveau président inaugure la session en prenant l’image du mur à dépasser : le mur de la haine entre les Argentins mais également les murs de la faim, insulte pour la société, et du gaspillage des ressources. « La haine ne doit pas nous coloniser », fut les maîtres mots de l’ancien professeur de droit à l’université de Buenos Aires. Le rassemblement se fera par la construction des politiques d’État rassemblant l’ensemble de la population argentine et qui inspirera au-delà des frontières, vers un rassemblement latino-américain, surmontant les divisions idéologiques, notamment au sein du Mercosur.
Parmi les mesures phares, Alberto Fernández annonça que le budget national du gouvernement sortant pour 2020 ne sera pas abordé au Parlement car ils ne reflètent ni la réalité macroéconomique ni la réalité sociale. Concernant le prêt auprès du FMI, le nouveau président veut un projet propre aux Argentins qui ne leur soit pas imposé depuis l’extérieur. Une situation extrêmement compliquée dans un pays laissé en « faillite virtuelle » par le gouvernement Macri, selon les dires de M. Fernández. Pour contrer cela, il met en avant des politiques de redistribution et déclare l’état d’urgence économique, social et sanitaire.
Pour mettre en place ces mesures, Fernández pourra compter sur un gouvernement nettement plus ample que celui de Mauricio Macri. De nombreux secteurs clés pour les péronistes ont retrouvé leur rang de ministères : les femmes, la culture, le logement, la santé, la science, la recherche et l’environnement. Son nouveau cabinet est une synthèse de la coalition qu’il entraîne derrière lui : de nombreux universitaires, des jeunes politiques venant aussi bien du kirchnerisme que des péronistes plus modérés. On regrettera néanmoins le manque de féminisation des cabinets alors que le président fait des droits des femmes une priorité nationale.
Cette union des gauches fut particulièrement claire lors des festivités de la cérémonie d’investiture. Alberto Fernández et Cristina Fernández de Kirchner y apparaissaient rassemblés, chacun dans un rôle bien déterminé, permettant aussi bien de parler aux péronistes de la première heure qu’aux classes moyennes et aux entreprises, rassurés par le tempérament modéré de M. Fernández. Là où Cristina divise la population pour animer son propre camp, Alberto passe derrière pour réunifier le débat public.
Cette composition en duo fut remarquée au moment du discours d’investiture, probablement écrit à quatre mains : il alternait des moments d’union et de réconciliation avec des passages plus virulents, dénonçant notamment une justice polluée par les pressions politiques et les lynchages médiatiques, références claires aux déboires de la vice-présidente avec les instances judiciaires. Il sera néanmoins intéressant de voir combien de temps cet équilibre pourra être maintenu. Dans un contexte économique et social aussi imprévisible que l’Argentine, le duo se verra confronté a de nombreuses épreuves. Face à des décisions cruciales, un capitaine à bord serait le bienvenu pour sortir le pays de la brume dans laquelle il est enfoui depuis de trop nombreux mois.
Romain DROOG