Michel Bertrand, professeur d’histoire et directeur de la Casa de Velázquez à Madrid, nous livre une somme dense et imposante sur la période allant de la découverte des Amériques aux indépendances, soit une période allant de 1492 à 1808.
Photo : bishopspalace.org
Dans cette histoire revisitée, les mots sont piégés. « Découverte » s’écrit avec des guillemets car lorsque les Européens mettent pied à terre, de manière inattendue, ils rencontrent un autre monde, des civilisations complexes et sophistiquées. En Europe, pour la commémoration du Vème centenaire de la découverte des Amériques, on a usé de l’expression « rencontre de deux mondes », outre-Atlantique on lui préfère celle du « choc » de deux mondes.
En 1992, les célébrations du « Vème centenaire » de cette « découverte » ont été riches en hésitations, interrogations, débats, polémiques, tant il est vrai que des deux côtés de l’Atlantique, il s’agissait de renommer les choses pour ne pas ajouter aux malheurs des amérindiens vaincus après une longue domination sans partage.
Un tournant historiographique
Les commémorations de 1992 ont donc eu le grand mérite d’ouvrir un tournant historiographique critique et de bousculer les approches européo-centrées. L’histoire coloniale ibéro-américaine s’en est trouvée enrichie de nombreuses synthèses mais surtout l’approche de cette histoire a évolué : « au cœur de la démarche historienne se situe l’humain, l’acteur ou encore l’action, jusqu’alors renvoyés au statut de lucioles illusoires ».
En outre, les travaux de Serge Gruzinski, en particulier, ont décloisonné les regards, élargi les horizons, porté l’attention sur les circulations et les connexions entre les deux rives de l’Atlantique. Après l’économie, la nouvelle histoire prenait à son compte le concept de globalisation pour relire le passé de la « quatrième partie du monde », ainsi nommée en 1507 par Martin Waldseemüller, un cartographe de Saint-Dié.
Une approche globale
Michel Bertrand aborde de manière très précise les différentes étapes de la découverte d’un continent, de sa colonisation et de sa gestion aux plans spirituel, économique, politique, culturel et anthropologique. Mais il ouvre le champ en situant l’expansion coloniale au cœur des enjeux atlantiques européens qui opposent, au XVIIIe siècle, l’Angleterre et la France. Enfin, les processus indépendantistes sont revisités à partir de travaux récents, selon une approche globale, à distance des récits patriotiques ou des épopées anticolonialistes.
Ce manuel a le mérite d’offrir à ses lecteurs un large panorama des évolutions historiographiques les plus récentes, de rendre compte des débats nouveaux qui animent la communauté des américanistes depuis une vingtaine d’années. Il propose aussi des descriptions très documentées par des approches micro-historiques sur les modes de sociabilité, les motivations des acteurs et les réseaux sociaux, spirituels, familiaux et financiers dans le monde des élites coloniales de plus en plus métissées.
On dispose désormais d’un ouvrage de référence pour aborder, dans leurs profondeurs historiques, les sociétés de l’Amérique ibérique d’hier et d’aujourd’hui, avec des schémas d’étude renouvelés.
Maurice NAHORY
L’Amérique ibérique. Des découvertes aux indépendances de Michel Bertrand, Ed. Armand Colin, 272 p., 27€