Après treize mois de détention provisoire, accusée d’avoir reçu des fonds dans le cadre du scandale Odebrecht, la Cour Constitutionnelle péruvienne a ordonné la remise en liberté de Keiko Fujimori. Oui à la libération, mais pas encore innocentée.
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« Je continuerai de répondre à l’enquête comme je l’ai toujours fait » a déclaré Keiko Fujimori le vendredi 29 novembre peu après avoir été libérée de la prison de Santa Monica, à Lima. Reste à savoir maintenant si la leader de Fuerza Popular, qui a été libérée après un recours mais qui fait toujours l’objet d’une enquête judiciaire, réussira l’énorme pari de redonner à son parti la crédibilité et la cohésion que ce procès menace d’ébranler.
Alors que d’autres cas de corruption plongent le Pérou dans l’une de ses crises institutionnelles les plus graves de son histoire (sept membres du Conseil National de la Magistrature, organisme chargé de nommer et de destituer les juges et les procureurs, ont été impliqués dans des affaires de corruption), l’affaire Odebrecht a mis, en effet, la principale force d’opposition fujimoriste dans une situation difficile.
Rappelons que Keiko (« fille bénie » en japonais) avait été arrêtée en octobre 2018 à la demande du parquet péruvien, accusée d’avoir organisé « un stratagème pour commettre un crime » et d’avoir « blanchi » de l’argent illicite pour financer sa campagne présidentielle de 2011. Selon les enquêtes, la fille de l’ancien président Alberto Fujimori avait financé une partie de la campagne présidentielle avec de l’argent versé par le géant du bâtiment Odebrecht. En 2017, des anciens dirigeants de l’entreprise brésilienne, aujourd’hui au cœur d’un scandale de pots-de-vin pour obtenir des chantiers en Amérique latine, ont déclaré avoir remis 1,2 millions de dollars en 2011. L’argent avait été « collecté » dans des cocktails, ce qui a valu à l’affaire Keiko Fujimori le nom de « Case cocktails ».
L’ancien patron d’Odebrecht au Pérou, Jorge Barata, a reconnu avoir donné de l’argent à deux des dirigeants du parti de Keiko, Jaime Yoshiyama et Augusto Bedoya, dont les maisons ont été perquisitionnées en mars dernier. Jorge Barata avait également avoué à la justice péruvienne avoir « contribué » aux campagnes électorales d’Ollanta Humala (2011-2016), Alejandro Toledo (2001-2006) et Pedro Pablo Kuczynski, l’ex-chef de l’État élu en 2016 qui a démissionné en mars 2018 sur fond de scandale de corruption.
Battu lors du second tour dans ses deux candidatures à la présidence (2011 et 2016), l’image du parti de la droite populiste est en chute libre et au bord d’une grave crise interne. Depuis sa défaite de justesse face à M. Kuczynski en 2016, Keiko, âgée de 44 ans, dirige l’opposition sur fond de rivalité avec son petit frère, Kenji Fujimori, 40 ans. Celui-ci est devenu une personnalité politique de premier plan, bien que pour la majorité de péruviens il soit l’enfant gâté de la dynastie Fujimori, laquelle est présente dans la vie politique péruvienne depuis trois décennies.
Le fils chéri des Fujimori a été éclaboussé par une affaire de corruption passive, révélée par une vidéo le 20 mars 2018, où on peut le voir en train de négocier un achat de votes lors de la procédure de destitution de l’ancien président Pedro Pablo Kuczinski. De son côté, sa soeur Keiko a déclaré qu’elle n’arrêtera pas de se battre pour réaliser son rêve de gouverner le Pérou, et a demandé que le Congrès lève l’immunité parlementaire de son frère. « Ce n’est pas une lutte contre la corruption, mais une lutte pour le pouvoir » a répliqué Kenji a propos de cette guerre fratricide.
Or, dans le cadre d’une croisade inédite contre la corruption endémique qui ronge son pays depuis des décennies, l’actuel président Martin Vizcarra a proposé d’anticiper les élections parlementaires et présidentielles d’un an, soit en avril 2020 au lieu de 2021. Par conséquent, le mandat actuel des députés, ainsi que son propre mandat, prendra fin le 28 juillet prochain. C’est lui-même qui l’a annoncé, dans son message à la nation, le 28 juillet, à l’occasion du 198e anniversaire de l’indépendance du Pérou. Aussi, M. Vizcarra a précisé, et à plusieurs reprises, qu’il ne serait pas candidat à la prochaine élection présidentielle.
En attendant la suite de son procès, Mme Fujimori a dit : « j’ai vécu l’événement le plus douloureux de ma vie », en référence à son séjour en prison. Elle est disposée à coopérer avec la justice selon son avocat, qui considère cette décision comme un « abus de droit ». En réalité, Keiko se considère victime de « persécution politique ». Mais un réconfort pour elle peut être de croire qu’au-dessus de la justice des hommes existe une autre justice suprême, à caractère divin, comme l’a écrit Mathieu dans son Evangile (V, 10) : « heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ».
Eduardo UGOLINI