Entre premier et second tour. Le triste feuilleton des élections boliviennes continue

L’Amérique latine va mal, titrions-nous récemment. Ne s’agit-il pas surtout d’un raz de marée d’exaspération générale — et dans des contextes différents – en Équateur, au Pérou, en Colombie, en Argentine, au Chili et maintenant en Bolivie (sans parler du Venezuela) face aux inerties et aux injustices des gouvernants, à la corruption et au non-respect des lois fondamentales ? 

Photo : Megavision

Nous dirons donc plutôt que l’Amérique du sud se révolte parce que les populations mondiales sont de plus en plus conscientes de leurs droits… Et que la coïncidence électorale leur donne l’occasion de les revendiquer, hélas souvent dans la violence et pas toujours dans une parfaite compréhension des mesures prises ; c’est un ras-le-bol général ! 

En Bolivie, le président Evo Morales a largement aussi abusé de son pouvoir en faisant fi du référendum de février 2016 et en amendant la Constitution pour imposer un quatrième mandat. Et une ville comme Potosí qui lui était fidèle a finalement au premier tour, voté contre lui. Certes, il a le soutien des populations pauvres et rurales pour lesquelles il a beaucoup œuvré : le PIB par habitant a triplé, le pays s’est équipé de routes, d’écoles et d’hôpitaux. Il a su s’opposer, contrairement à d’autres, à la mainmise des multinationales en nationalisant notamment l’exploitation du lithium et en portant la croissance à plus de 4 % en moyenne, selon l’ONU. Mais il a échoué dans beaucoup de ses tentatives (inertie, manque d’experts… entre autres). On lui reproche aussi de n’avoir pas su, ou voulu, gérer les incendies qui ont ravagé la Chiquitania, en les encourageant même peut-être – comme son homologue brésilien Jair Bolsonaro pour dégager des zones cultivables. 

Le bilan socio-économique est donc au centre de ces élections : la gestion prudente du gaz et des minerais a permis de réaliser d’importants progrès sociaux mais au détriment des investissements, et le prix des hydrocarbures ayant baissé, le déficit budgétaire s’est fort aggravé. 

Le principal adversaire de Morales aux élections qui se sont déroulées le dimanche 20  octobre dernier, Carlos Mesa – qui fut président centriste de 2003 à 2005 – est à la tête des manifestations qui ont accompagné la période préélectorale  mais on ne l’attendait pas vraiment à la tête d’un score historique depuis 2006 ! Certes, il n’a obtenu au soir du 20  octobre que 38,1 % des suffrages contre 45,03 % à Morales mais, en Bolivie, l’écart entre les candidats doit atteindre 10 points …On attendait donc un second tour  quand l’annonce des résultats a été brutalement interrompue par la transmission des résultats électoraux préliminaires ; le Tribunal électoral ( TREP) annonçait la victoire du président Morales qui en niait donc la nécessité… 

Carlos Mesa, comme une partie des Boliviens, dénonce non seulement l’acte autoritaire qui a permis à Morales de se représenter une quatrième fois en manipulant le Tribunal suprême électoral et la Constitution, mais il dénonce aussi une fraude électorale et appelle à en finir avec ce pouvoir non démocratique. Les manifestations de révolte ont débuté dès la nuit du 20 au 21  octobre quand le Tribunal électoral de Potosí a été incendié et des évènements similaires se sont vite répandus à Sucre, Cochabamba, Oruro, Tarija et jusque dans la province éloignée du Béni. La situation s’est très rapidement détériorée : des milliers de citoyens dans les rues défient les gaz lacrymogènes, dans les 9 provinces du pays, les installations et matériels électoraux, les sièges de campagne du parti de gouvernement, sont détruits et l’on compte des blessés dans toutes les grandes villes du pays. Aux cris de « Le vote doit être respecté » « Nous sommes en Bolivie, pas au Venezuela »… Carlos Mesa s’est présenté, aux alentours de 20 heures le 21 octobre, à Santa Cruz, pour annoncer officiellement qu’il ne reconnaissait pas les résultats et une grève illimitée a été déclarée dans cette capitale économique. Depuis, la grève générale s’est étendue à tout le pays. 

Le dilemme se poursuit. La page internet du Tribunal suprême électoral bolivien donnait le 22, Evo Morales vainqueur avec 46,87 % des voix contre 36, 73 % pour Mesa, dont le pourcentage a baissé : l’écart serait donc maintenant de 10,14 points, ce qui permet la réélection du président sortant au premier tour. Les observateurs de l’OEA ont fait part « de leur profonde inquiétude » et les Boliviens redoutent plus que tout le retour d’un pouvoir à vie qui a marqué leur histoire. 

La situation risque d’encore empirer puisque le 23 octobre, se déclarant vainqueur définitivement, le président a dénoncé, dans sa première déclaration publique depuis le scrutin du dimanche 20 octobre, une « tentative de coup d’Etat » de la droite, appuyée selon lui par « l’international ». 

Va t-on voir la Bolivie s’embraser comme le Chili  ? La tension ne retombe bien sûr pas, au contraire ; on entendait mercredi des coups de feu dans La Paz, les stations-service sont prises d’assaut, de fausses informations circulent sur les réseaux sociaux et la foule est de plus en plus nombreuse dans les rues du pays. Où cette obstination à nier les premiers résultats va-t-elle mener le président qui se mue en dictateur et saura-t-il accepter un second tour  ? Ce qui est certain, c’est que, si ce second tour a lieu, il s’annonce très serré. 

De toutes façons, le Congrès sera divisé quel que soit le président et l’exercice du pouvoir, selon les analystes, sera très difficile. La vague de protestation et de violence est bien loin de s’arrêter. 

Claire DURIEUX