Après une large victoire aux élections primaires d’août, considérées par beaucoup comme une répétition générale de l’élection présidentielle, Alberto Fernandez devient sans grande surprise le nouveau président de la République d’Argentine. Sa tâche ne sera pas aisée dans un pays en proie à une profonde crise économique et une inflation parmi les plus élevées du monde.
Photo : Sarcano TV
Le 27 octobre, sur les coups de 23 heures, Alberto Fernandez monte sur scène pour célébrer avec les militants la victoire du Frente para todos. Avec 48,1% des votes, il s’impose comme le nouveau Président de l’Argentine et succèdera le 10 octobre à Mauricio Macri, qui termine en deuxième position avec 40,4% des votes. Bien que l’issue du scrutin ne surprenne pas grand monde, on peut tout de même remarquer que la victoire ne fut pas aussi écrasante que pouvaient le laisser entrevoir les élections d’août dernier où Fernandez distançait Macri avec 16 points de différence.
En quelques mois, Mauricio Macri a donc réussi partiellement son pari. Bien qu’il ne soit pas réélu, son parti, Juntos por el cambio, prive les péronistes d’une majorité absolue au Congrès (ils obtiennent 120 sièges pour une majorité à 129). Si le nouveau président ne veut pas être obligé de diriger par décrets, il devra donc négocier au niveau législatif avec ses adversaires politiques pour faire passer des lois.
La victoire d’Alberto Fernandez est surtout une victoire de la stratégie politique de Cristina Kirchner, ancienne présidente et vice-présidente du nouveau chef d’Etat. Il y a quelques mois, elle avait surpris les commentateurs en revenant sur le devant de la scène politique avec son livre Sinceramente. Beaucoup voyaient en cette publication un premier pas pour se lancer dans la course présidentielle. Profitant d’une grande popularité dans les milieux populaires, Cristina Kirchner est également une redoutable analyste politique et sait que sa figure dérange notamment parmi la classe moyenne, véritable clef de voûte des élections nationales. Son implication supposée dans de nombreuses affaires de corruption a détérioré son image auprès de certaines tranches de l’électorat. Elle se met donc en retrait et laisse Alberto Fernandez concourir pour le poste de Président et devient sa colistière. Ancien chef de cabinet de Nestor et Cristina Kirchner de 2003 à 2008, ce baroudeur de la politique argentine abandonna son poste après la crise qui opposa le gouvernement au secteur agricole. Il devint alors l’une des figures contestatrices du kirchnerisme, au sein du mouvement péroniste. Son profil critique ainsi que ses positions idéologiques considérées comme plus centristes lui permirent de rassurer les classes moyennes.
Du pain sur la planche
C’est le moins que l’on puisse dire quand on se penche sur la situation actuelle du pays : un tiers des Argentins sous le seuil de pauvreté, une inflation annuelle de 55%, une dette publique qui a doublé en l’espace de deux ans et une récession de 2,5% prévue pour 2019. Sans compter le recours au FMI en 2018, à qui l’Argentine doit maintenant rembourser 57 milliards de dollars. L’héritage laissé par Mauricio Macri est sans appel et Alberto Fernandez devra gérer une situation sociale explosive, une économie ravagée ainsi que des marchés financiers aux abois.
Pour cela, Alberto Fernandez ne dispose pas de recette miracle. De fait, son programme est particulièrement flou. Pour autant, Fernandez le justifie : il est impossible d’avoir un programme économique et social crédible sans savoir la situation dont il héritera au moment d’assumer le pouvoir.
Néanmoins, au détour des interviews et meetings de campagne, les électeurs ont pu se faire une idée des méthodes qu’emploiera Fernandez. Se voulant rassurant, il appelle a une grande concertation sociale, réunissant tous les acteurs de la société argentine dans une sorte de trêve afin d’étudier la situation du pays et trouver des solutions coordonnées pour la stabiliser. De plus, son programme vise à améliorer la consommation interne tout en augmentant le volume des exportations. Il s’est aussi déclaré favorable à la réactivation des secteurs du pétrole et du gaz non conventionnels afin de faire baisser les prix de l’énergie. Finalement, une renégociation avec le FMI est également prévue ainsi qu’une réforme fiscale qui imposera les plus grandes fortunes (dans un pays où l’évasion fiscale est un sport national).
Sur le plan social, ses grandes propositions sont un Plan contre la Faim qui vise à réguler le prix des aliments de base et réactiver l’économie locale, la création d’un Ministère du logement pour favoriser l’acquisition d’un bien immobilier à des prix réduits et une large concertation sociale avec syndicats et entrepreneurs afin de diminuer le taux d’inflation. Il veut également accentuer le fédéralisme de l’Argentine, en donnant plus de marge de manœuvre aux provinces.
Cela sera-t-il suffisant ? Rien n’est moins sûr. Mais l’Argentine est le pays de toutes les surprises et sa situation en 2001 paraissait également inextricable pour les commentateurs de l’époque qui ont vu le pays renaitre de ses cendres quelques années plus tard. Néanmoins, en août dernier, suite à la victoire de Fernandez aux élections primaires, le dollar avait bondi de 23% et son cours atteignait les 57 pesos. En échange, le lendemain du 27 octobre, le cours du dollar baissa légèrement et la bourse de Buenos Aires avait l’air étrangement calme. Apres avoir rassuré les électeurs, Fernandez aurait-il réussi à tranquilliser les marchés financiers ?
Romain DROOG