Bien sûr, il y a pour commencer la découverte d’un cadavre, décapité, qui gît dans un couloir d’une pension modeste, on pourrait dire minable, de Rio de Janeiro. L’homme assassiné vendait (trafiquait ?) des pierres précieuses mais n’avait aucun ennemi connu et menait une vie paisible. Le commissaire Del Bosco est chargé de l’enquête, il a soigneusement lu le Manuel imposé par sa hiérarchie et n’a pas la moindre intention de sortir des règles officielles qui y sont développées. Pour réussir son examen d’entrée, il a dû potasser le Manuel (avec majuscule), il s’agit maintenant d’appliquer !
Photo : Goodread
Pourtant très vite on se rend compte que ce n’est pas l’enquête en soi qui intéresse Frei Betto. Dans une première partie, il fait défiler devant le commissaire, mais bien davantage devant le lecteur, une série de personnages, les habitants de la pension, ce qui donne des portraits d’une grande richesse, drôles ou émouvants. Parmi eux une midinette qui rêve de devenir star, un journaliste, un attaché parlementaire qui n’a pas su doubler ou tripler sa maigre fortune comme ses patrons, un travesti et un homme sans profession définie, qui aide les jeunes paumés qui traînent dans les rues… et qui ressemble un peu à l’auteur.
On sortira de la pension, et c’est toute la société brésilienne des dernières années du XXème siècle qui est décrite, des policiers véreux aux enfants des rues qui s’entretuent pour survivre, des bourgeois bien installés qui découvrent par hasard l’instabilité de leur propre situation aux intellectuels arrogants qui pensent avoir tout compris et qui sont aussi désarmés que n’importe qui face à la cruauté de la société dans laquelle ils vivent.
Formellement, si l’on s’en tient aux normes, Hôtel Brasil est un peu bancal. C’est un polar qui n’en est pas un, un roman social qui se prend pour un polar, un roman psychologique entre deux scènes de violence. Mais au diable les normes, au diable l’éventualité d’être formellement correct, comme on dit politiquement correct ! Frei Betto nous fait cadeau d’un roman plein de vie (la vie quotidienne est-elle équilibrée ?), dont les personnages sont de vraies personnes, qu’il a probablement croisées et qu’il montre sans masque. Tout le bénéfice de ce pseudo désordre est pour le lecteur qui se sent immergé dans ce Rio de Janeiro frappant de réalisme.
À noter que Hôtel Brasil a été publié dans sa version originale en 1999 et dans sa version française, par les éditions de l’Aube en 2004, cette réédition est la bienvenue ! Frei Betto, né en 1944 est frère dominicain, proche de la Théologie de la Libération, militant politique. Il a passé plusieurs années en prison, a vécu dans une favela, été proche de Luiz Inácio Lula. Il est l’auteur d’une œuvre très variée, souvenirs, récits pour la jeunesse, chroniques, etc
Christian ROINAT
Hôtel Brasil de Frei Betto, traduit du portugais (Brésil) par Richard Roux, postface du traducteur, 344 p., 14 €.