Nous publions une tribune du dernier Journal du Dimanche. Dans une déclaration commune, plus de deux cents personnalités, parmi lesquelles Jean-Luc Mélenchon, mais aussi les anciens présidents Luiz Inácio Lula da Silva (Brésil) et Rafael Correa (Équateur) ou encore le secrétaire général de Podemos Pablo Iglesias (Espagne), appellent à la « vigilance pour défendre les victimes » du « lawfare », un concept qui désigne une instrumentalisation politique de la justice. « Nous invitons à la vigilance pour défendre les victimes de ce type d’opération quelle que soit leur appartenance politique », écrivent-ils.
L’ex-president Lula Da Silva : Le Monde du 13 septembre publie un premier entretien à un média français depuis son incarcération.
Photo : Heuler Andrey
« Non, la justice ne doit pas servir d’arme de persécution politique. Pourtant c’est devenu le cas aujourd’hui presque partout dans le monde. Déjà, avec la criminalisation des lanceurs d’alerte, des syndicalistes, des militants écologistes et des participants aux manifestations interpellés arbitrairement, les droits des citoyens ont beaucoup reculé. Le maintien de l’ordre libéral coûte cher à la démocratie. À présent, un seuil est en train d’être franchi. C’est ce que l’on appelle la tactique du « lawfare ». Il s’agit de l’instrumentalisation de la justice pour éliminer les concurrents politiques.
« Le « lawfare » enferme les débats politiques dans les cours de justice […] il fausse le déroulement des élections ».
Le « lawfare » commence avec des dénonciations sans preuves, se prolonge dans d’obsédantes campagnes de dénigrement médiatique et oblige ses cibles à d’interminables justifications sans objet. Puis c’est la prison et les amendes. Le « lawfare » enferme les débats politiques dans les cours de justice. Pour finir, il fausse le déroulement des élections qui ne sont plus vraiment libres. Les exemples sont nombreux. Citons, en Amérique du Sud, le Brésilien Lula, condamné sans preuve et empêché de se présenter à l’élection présidentielle. Son « juge », Sergio Moro, est devenu depuis ministre de la Justice du président d’extrême droite Jair Bolsonaro. Mais aussi l’Équatorien Rafael Correa et l’Argentine Cristina Kirchner, persécutés sans trêve.
Citons, en Afrique, le Mauritanien Biram Dah Abeid, emprisonné sur une dénonciation sans preuve retirée au bout de plusieurs mois de détention. Et encore l’avocat égyptien Massoum Marzouk, opposant au régime de Sissi emprisonné sur le prétexte fallacieux de charges antiterroristes. Il y aussi le cas de Maurice Kamto, arrivé deuxième à la dernière élection présidentielle au Cameroun et emprisonné depuis janvier dernier, ou l’ancien député gabonais Bertrand Zibi, condamné à six ans de prison.
« Nous appelons à la coopération mondiale des résistances juridiques ».
Citons, en Europe, le Français Jean-Luc Mélenchon, poursuivi sans preuve et jugé pour rébellion, ou le Russe Serguei Oudaltsov, dirigeant du Front de gauche, condamné à quatre ans et demi de prison pour avoir organisé des manifestations contre le pouvoir. Citons, en Asie, le Cambodgien Kem Sokha, principal leader de l’opposition emprisonné à la veille des élections législatives de 2017. Ou l’acharnement judiciaire aux Philippines contre la sénatrice Leila de Lima, figure de l’opposition.
De nombreuses voix se sont élevées dans le monde pour dénoncer cette situation : des groupements de juristes, des autorités religieuses comme le pape François, des figures de la défense des droits de l’homme, des dirigeants syndicalistes ou politiques. Notre déclaration commune salue ces protestations. Nous invitons à la vigilance pour défendre les victimes de ce type d’opération quelle que soit leur appartenance politique. Nous appelons à la coopération mondiale des résistances juridiques. Nous demandons que soient dénoncés devant l’opinion publique les gouvernements et les magistrats comme le juge Sergio Moro, au Brésil, qui acceptent de jouer ce rôle néfaste aux libertés individuelles et politiques. »
L’ex-president Luiz Inacio Lula da Silva : Le Monde du 13 septembre publie un premier entretien à un média français depuis son incarcération.
Les signataires :
Adolfo Pérez Esquivel, prix Nobel de la paix, Argentine
Hebe de Bonafini, présidente de l’association des Mères de la place de Mai, Argentine, prix Sakharov de l’Union européenne
Ignacio Ramonet, écrivain, journaliste et président d’honneur d’ATTAC, Espagne
Aminata Traoré, essayiste, Mali
Manon Aubry et Martin Schirdewan, co-présidents du groupe GUE au Parlement européen, France et Allemagne
Shumona Sinha, romancière, prix de l’Académie Française, Inde
Eugenio Raul Zaffaroni, juge à Cour Intéramericaine des Droits de l’Homme, Argentine
Rashida shams al Din, journaliste, Soudan
Janak Chaudhari, secrétaire général du syndicat GEFONT, Népal
Luiz Inácio Lula da Silva, ex-président de la République fédérative du Brésil
Rafael Correa, ex-président de la République d’Équateur
Pepe Mujica, ex-président de la République orientale de l’Uruguay
Pablo Iglesias, député, secrétaire général de Podemos, Espagne
Lucia Topolanski, vice-présidente de l’Uruguay
Jane Vargas, dirigeante du syndicat de la construction NUDCW, Philippines
Almir Narayamoga Surui, chef de la tribu Paiter Surui, Brésil
Marisa Matias, ancienne candidate à la présidence de la République, Portugal
Le groupe des députés de la France Insoumise à l’Assemblée Nationale et la délégation Insoumise au Parlement européen
Esther Benbassa, sénatrice
André Chassaigne, président du groupe Gauche démocrate et républicaine à l’Assemblée nationale
Noël Mamère, ancien candidat écologiste à l’élection présidentielle
Marion Esnault, porte-parole de l’association écologiste ANV-COP21
Vikash Dhorasoo, ancien joueur de l’équipe de France de football
Jean Ziegler, vice-président du comité consultatif du Conseil des Droits de l’Homme aux Nations Unies, Suisse
Edward Bond, dramaturge, Royaume-Uni
Pipo Delbono, metteur en scène, Italie
Biram Dah Abeid, chef de file de l’opposition, prix des Droits de l’Homme des Nations Unies, Mauritanie
Thomas Porcher, économiste
Arié Alimi, avocat au barreau de Paris
Hamma Hammami, porte-parole du Front populaire, Tunisie