Lucía Puenzo, scénariste, puis réalisatrice de films, romancière (et fille de Luis Puenzo, le metteur en scène du mythique Histoire officielle en 1985), présente son cinquième roman, thriller sur fond social et très émouvant portrait de trois enfants perdus des banlieues de Buenos Aires.
Photo : infobae
Ajo a six ans et en paraît moins. Agile et peu craintif, il «travaille» avec sa sœur, la Enana et le copain de la fille, Ismael, jeunes ados du quartier du Once à Buenos Aires. Autrement dit, cornaqués par Guida, un agent de sécurité, qui est donc particulièrement bien informé, ils cambriolent les maisons intéressantes du coin selon une technique rigoureuse pratiquement infaillible.
Guida, toujours bien informé grâce à son métier, a connaissance d’une nouvelle filière : en Uruguay on cherche ce genre de profils pour des cambriolages à grande échelle. C’est risqué mais très profitable. Il organise donc la traversée du Río de la Plata, risquée elle aussi. Et là, le piège se referme sur les trois enfants.
Lucía Puenzo fait fort : c’est une véritable « mission impossible » qui est imposée au trio, mais à un trio d’enfants et, en procédant ainsi, elle rend le lecteur presque complice. On ne peut qu’être du côté d’Ismael, de la Enana et de Ajo, ce n’est pas pour la bonne cause, non seulement ils volent (est-ce si grave pour des gamins dans la misère de voler des millionnaires ?), surtout ils sont les premières victimes de la situation.
De temps en temps, nous passons de l’autre côté de la frontière sociale, du côté des victimes qui, si elles sont bien une proie du trio, sont tout de même dans le camp des riches, des très riches, peut-on dire des oppresseurs ? Lucía Puenzo les montre dans leur monde qu’ils ne partagent pas mais qui est une autre forme d’existence normale. Ils sont en vacances, en famille, mènent une vie tranquille et ne font de mal à personne. Dans le lotissement tellement protégé qu’il a des allures de ghetto, avec ses gardiens armés et ses hauts murs, la violence se cantonne au niveau des chiens qui se déchaînent contre les brebis voisines ou leurs propres congénères.
C’est ailleurs que se manifeste l’innocence, présente dans l’histoire sous la forme d’une jolie personne lunaire, un peu extérieure à tout, qui donne un souffle poétique à la noirceur de l’ensemble.
Rien pourtant n’est tout noir ou tout blanc dans Invisibles. L’autrice jette sur ses personnages des deux camps un regard de compréhension qui laisse le lecteur juge des diverses actions, celles des jeunes et celles des nantis, s’il le souhaite, car il n’est pas essentiel de pencher d’un côté ou de l’autre, au contraire, elle le met dans la position de témoin honnête, d’honnête homme.
Invisibles est un roman riche, prenant, émouvant, Lucía Puenzo s’améliore de livre en livre !
Christian ROINAT
Invisibles de Lucía Puenzo, traduit de l’espagnol (Argentine) par Anne Plantagenet, éd. Stock, 214 p., 19,50 €. Lucía Puenzo en espagnol : El niño pez, La furia de la langosta / Wakolda, ed. Duomo, Barcelone. Lucía Puenzo en français : L’enfant poisson / La malédiction de Jacinta / La fureur de la langouste / Wakolda, éd. Stock.
Née en 1976, Lucía Puenzo est une auteure et réalisatrice argentine. Son premier long métrage, XXY, remporte le grand prix de la Semaine de la Critique à Cannes en 2007 et le prix Goya du meilleur film étranger en 2008. Elle publie son premier roman L’enfant poisson (Stock, 2010) à 23 ans. Invisibles est son sixième roman.