C’est une vaste entreprise : l’intention de Maria José Silveira était de faire revivre par l’intermédiaire de plus de vingt femmes rien moins que tout un pays, le sien, le Brésil. La première, Inaiá, naît en 1500 ; la dernière citée, Amanda, était un bébé en 2002, quand le livre a paru dans son édition originale. De la conquête à l’actualité, les siècles défilent sous nos yeux, les changements historiques se matérialisant sous les traits de ces personnes.
Photo : Babelio
On comprend l’intérêt que présente une telle œuvre pour les Brésiliens (et encore davantage pour les Brésiliennes). Pour un Européen (ou une Européenne), la lecture en sera sans doute différente. On découvre pour commencer des pans entiers de l’histoire du pays probablement inconnus de la majorité : la guerre, vers 1645, entre Portugais, les «maîtres» d’alors, et Hollandais qui auraient bien aimé s’approprier une région pleine de richesses, n’est pas vraiment fixée dans notre mémoire collective.
Les ambiances campagnardes d’un pays en formation sont parfaitement décrites, à une époque où la vie n’était facile pour personne. Sur des terres souvent ingrates, sous un climat inconnu des nouveaux arrivants, si on parvenait à s’enrichir pendant un certain temps, on pouvait aussi à tout moment tout perdre en un mois ou même en un jour. Dans ces conditions, le rôle des femmes est capital, bien qu’il ne soit que très rarement reconnu.
Les métissages sont nombreux, c’est normal, on est au Brésil, les jeunes filles, les femmes, capables d’aimer, de haïr, de tuer, de créer, se ressemblent tout en ayant chacune leur personnalité. Certaines se distinguent, Sahy, fille d’Indienne et de Normand, Guilhermina aux cheveux de feu ou Lígia, «disparue» à 20 ans au moment de la terrible dictature.
Les hommes aussi, maris, amants, pères toujours, font l’objet de portraits souvent soignés : ils se ressemblent tous un peu. Comme le féminisme, le machisme se transmet d’une génération à l’autre, la société est ainsi faite.
Un lecteur européen regrettera probablement que la grande histoire du Brésil ne soit qu’évoquée un peu trop superficiellement : l’Empire, la République ne sont que des toiles de fond et ledit lecteur manque forcément de repères. Mais le long défilé de ces femmes (et de leurs conjoints), sans parvenir à constituer une fresque historique, acquiert le charme de la répétition. Ce défilé présente peu d’aspérités, les femmes ne sortent pas des normes qui leur étaient imposées par une société peu imaginative, leurs révoltes restent très limitées et, face aux mariages qui inévitablement tournent à la déception, elles réagissent toutes sans provoquer trop de vagues. Même les anarchistes ici sont des modérés !
À l’opposé de la plupart des auteurs latino-américains, Maria José Silveira, fille d’un député démocrate, refuse le spectaculaire, le bizarre ou la violence. Elle offre un tableau historique vaste et un peu trop lisse.
Christian ROINAT
De mères en filles de Maria José Silveira, traduit du portugais (Brésil) par Diniz Galhos, éd. Denoël, 480 p., 23,90 €.
Maria José Rios Peixoto da Silveira Lindoso est écrivaine, traductrice et éditrice, née au Brésil à Jaraguá, Goiás en 1947. Fille de l’homme politique José Peixoto da Silveira (1913-1987), elle est diplômée de la Faculté de communication de l’Université de Brasilia. Elle a travaillé comme rédactrice publicitaire à São Paulo à partir de 1969. Persécutée par la dictature militaire, accusée de subversion en 1971, elle a vécu clandestinement avec son mari au Pérou jusqu’en 1973. Maria José Silveira rentre au Brésil en 1976 et fait des études de troisième cycle en sciences politiques à l’Université de São Paulo.